L’étude d’Andrew Wallis parvient à cerner un corpus imposant, depuis les “trois œuvres maîtresses du siècle” que sont, d’après Serroy, les romans de Sorel, Scarron et Furetière, en passant par le récit largement autobiographique de Tristan L’Hermite sans oublier des textes moins connus comme Le Gascon extravagant ou Le Parasite mormon. La veine des histoires comiques a déjà fait l’objet d’études d’envergure mais la perspective novatrice ici consiste à mettre en évidence un genre anti-romanesque, défini comme un espace hybride, un entre-deux littéraire. Alors qu’il est commun de dire que ces auteurs ont ouvert la voie au roman moderne, l’approche de Wallis consiste à montrer qu’ils se positionnent encore par rapport au romanesque “traditionnel”, construisant un pont entre deux états de l’histoire du genre.
La démonstration selon laquelle ces textes s’inscrivent en faux par rapport au roman héroïque dominant, ses longueurs, son invraisemblance, son esthétique idéalisante, en particulier en brisant l’illusion mimétique, est tout à fait convaincante. Ce travail est d’autant plus nécessaire que, comme les grands romans en vogue au XVIIème siècle nous sont à présent relativement mal connus, on risque de passer à côté de la parodie et de l’intention subversive qui motive le roman “comique”. Wallis se livre ainsi à des comparaisons particulièrement productives entre les personnages figés et immuables des romans traditionnels, et des héros “parés d’un certain devenir” (19) comme Francion ou le narrateur des Fragments d’une Histoire comique. On regrette cependant que les procédés de réécriture ne soient pas plus systématiquement mis en évidence : le premier chapitre se clôt sur une définition de l’anti-roman qui tient insuffisamment compte de l’hétérogénéité du corpus.
On comprend toutefois qu’une des intentions de l’auteur a été de dépasser l’impression de foisonnement et d’éclatement qui se dégage de cette veine romanesque en mettant en lumière une architecture commune. Un point fort de l’étude est l’analyse de la représentation de l’espace, en particulier à travers la métaphore du palais et la démystification des lieux romanesques, visible dans les frontiscipes des anti-romans. Wallis fait ainsi apparaître “un réseau symbolique d’où jaillissent des espaces en opposition” (60) tout en se livrant à des lectures fines de certains passages (la caverne dans le rêve de Francion). L’attention au détail est d’ailleurs une des grandes qualités de cet ouvrage, qui fait utilement le point sur des personnages secondaires et des épisodes peu commentés.
On suit moins Wallis par contre dans son développement sur les héros fous, appuyé sur une histoire de la folie au XVIIe siècle qui ne nous semble pas particulièrement éclairer ces textes. Prendre la folie de Lysis, dans le Berger extravagant, au pied de la lettre, c’est négliger qu’il s’agit encore là d’un ressort de la satire, le rire devant sanctionner, à travers ces extravagances, les romans de bergerie qui empoisonnent l’esprit de leurs lecteurs. L’argument de la folie s’inverse ainsi en un appel au bon sens. Wallis constate que “par la digression, par les histoires intercalaires, par les interventions des narrateurs et d’autres procédés, les auteurs anti-romanesques invitent le lecteur à la coproduction de leurs textes”. Cette liberté apparente dissimule pourtant un pacte de lecture particulièrement contraignant, visant à remplacer l’immersion fictionnelle, génératrice de crédulité, par l’ironie et la distance critique.
En somme, la perspective adoptée par Wallis a le mérite de sortir des catégorisations traditionnelles (visant par exemple à distinguer dans ces romans une dimension sociale et une dimension philosophique) pour porter le débat sur un terrain extrêmement productif, celui d’une pratique subversive de la littérature conçue comme une machine à réformer le lecteur. Cette approche aurait sans doute gagné à être plus systématiquement problématisée. Ainsi, la notion essentielle de parasitage, développée dans le dernier chapitre, nous semble délayée dans un discours critique qui juxtapose l’analyse rhétorique, structurale et psychanalytique sans parvenir à dégager une unité.
Enfin, l’ouvrage pâtit assurément d’une relecture insuffisante, qui a laissé passer un grand nombre d’erreurs syntaxiques, grammaticales et lexicales. Ce déficit du style mis à part, l’étude de Wallis propose une perspective stimulante et innovante dans un domaine qui mérite tout notre intérêt.
Nathalie Freidel, Wilfrid Laurier University