Professor Toby Wikström (Tulane University) kindly responded to our request and gave us his point of view on how to approach literary texts with undergraduates and graduates students. Thank you!
Comment approcher les textes littéraires avec des étudiants de licence, de master ou de doctorat ?
1. (SE-17) Combien de textes primaires abordez-vous par semestre ? Combien de textes primaires vos étudiants doivent-ils lire par semestre ?
(TW) Au lieu de penser en fonction de combien de textes complets à aborder par semestre, mon unité de base est le nombre de pages à lire par semaine. Pour un cours de littérature avancée destiné aux étudiants en licence, par exemple, je fais lire au tout maximum une cinquantaine-soixantaine de pages par semaine, repartie de préférence entre deux séances de vingt-cinq ou trente pages chacune. Si on suppose par contre un cours master/doctoral, le nombre de pages atteint 100, voire 150, par semaine. Ce n’est pas un manque d’ambition qui fait que je limite les lectures de telle façon ; c’est plutôt une vue de synthèse. C’est-à-dire que lorsque j’établis le programme de mes cours, j’essaie de prendre compte de la totalité des lectures que doivent faire les étudiants par semaine dans tous leurs cours ce semestre-là. S’ils suivent 3 ou 4 cours à part le mien, ils sont sans doute déjà en train de lire des centaines de pages par semaine. Pour garantir des lectures et des discussions plus profondes, je choisis de faire lire un peu moins, convaincu que moins est en effet plus.
2. (SE-17) Incluez-vous d’autres types de documents dans le contenu de vos cours de littérature: textes critiques, documents iconographiques, films, … ?
(TW) Oui, tout en privilégiant les textes primaires, et toujours pour des raisons pédagogiques bien précises. Quant aux textes critiques, je ne n’en donne presque jamais à mes étudiants en licence, de sorte qu’ils lisent autant de textes primaires que possible. J’en donne par contre aux étudiants en master/doctorat. Dans leur cas, je programme un atelier théorique toutes les quatre ou cinq semaines, où on discute des travaux critiques et essaie de voir les points de rencontre éventuels entre d’une part les textes primaires qu’ils viennent de lire et, d’autre part, la théorie. Auparavant, je ne mettais jamais de théorie à mes programmes, ayant fait mes études avec une génération de professeurs qui privilégiaient les textes primaires, un peu comme Paul De Man le décrit dans son célèbre article « The Return to Philology. » Je trouve maintenant que des connaissances théoriques sont de plus en plus indispensables. Mais je ne laisse jamais la théorie dominer, et je suis le plus content quand les textes – pour parler encore avec De Man – résistent à la théorie, ou mènent à une révision productive de la théorie. Cela a été le cas, par exemple, lorsque mes étudiants et moi avons lu l’Orientalisme de Saïd à la lumière des récits de captivité méditerranéenne écrits au seuil de la modernité.
Quant aux films, et d’autres produits médiatiques visuels par ailleurs, je m’en sers surtout de deux façons. Premièrement, je visionne des extraits des films ou des clips des émissions de télévision au tout début du premier cours, des extraits qui soulèvent des questions similaires à celles que l’on va aborder dans le cours. C’est une excellente et rapide façon de stimuler la discussion et de passer du connu des étudiants (la culture actuelle) à l’inconnu (l’époque prémoderne). Par exemple, dans mon cours sur les utopies et les dystopies de la Renaissance, je montre et fais analyser en cours un clip de l’émission Bad Girls Club, parce que cette émission représentant la vie collective d’un groupe de jeunes femmes dévouées à toute sorte de plaisir, logeant ensemble dans une maison sans autorité centrale, aborde, de façon parfaitement scandaleuse, je l’avoue, la grande question de la communauté idéale. Or, les étudiants découvrent dans les semaines suivantes que Platon, More et Rabelais abordent cette même question et que certaines questions touchant à l’organisation de la société, ainsi que d’autres questions de la vie humaine concernant le gender, la religion, la représentation, la critique sociale, le pouvoir, etc., remontent dans le temps et ont une longue continuité historique, même si l’on tient compte de toutes les variations historiques. J’ai trouvé que cette méthode marche pour les étudiants en licence et pour les étudiants plus avancés.
La deuxième façon dont j’utilise des produits médiatiques rentre dans le cadre du projet final des cours des étudiants en licence. C’est là une méthode que j’ai piquée à Éva Pósfay, mon professeur de littérature française du dix-septième siècle à Carleton College, où j’ai fait ma licence. Cette démarche consiste à faire montrer comme examen final d’un cours sur la littérature de l’époque prémoderne un film moderne sur cette époque-là tel que The New World ou Tous les matins du monde; je demande aux étudiants d’expliquer dans un devoir synthétique comment le film en tant que produit culturel récent reflète, décale ou déforme les thèmes que nous avons abordés en cours.
3. (SE-17) Donnez-vous des pistes de lecture à vos étudiants (questions, points sur lesquels ils devraient prêter plus d’attention, grille de lecture à compléter,…) en vue d’arriver mieux préparés en cours ?
4. (SE-17) Comment engagez-vous la discussion sur un texte préparé par vos étudiants ? Quelles techniques utilisez-vous pour 1) vérifier la compréhension ; 2) favoriser l’approfondissement ; 3) stimuler les échanges ?
(TW) Je pense que je peux répondre à ces deux questions à la fois en décrivant mon approche fondamentale. Pour faciliter la discussion, je pense toujours en fonction d’une progression. C’est-à-dire que j’essaie d’organiser mes cours selon une progression pré-activité/activité/post-activité qui obéit aux principes suivants : passer du connu à l’inconnu, du général au spécifique, et du facile au difficile. Ce sont des principes que j’ai appris en suivant le cours de Second Language Acquisition de la brillante Sally Magnan à l’Université du Wisconsin-Madison, où j’ai fait mon master en littérature française. Je trouve que ces principes valent tout aussi bien pour l’enseignement de la littérature que pour celui des langues. La pré-activité consiste généralement à faire spéculer les étudiants, surtout ceux en licence, à la fin de l’heure sur le contenu du texte à priori inconnu qui est programmé pour le cours suivant, avec comme seul guide le titre de ce texte inconnu. Cette étape active le schéma d’attente chez les étudiants et améliore ainsi la compréhension. Une autre pré-activité typique consiste à poser une question concernant le texte à l’avance sur le forum numérique du cours. L’activité, elle, se compose de la discussion en cours. Pour passer du connu à l’inconnu, du général au spécifique, et du facile au difficile, comme je l’ai dit, je commence toujours le cours en demandant un bref résumé de l’intrigue, pour avancer ensuite à l’établissement d’une liste des thèmes, après lequel on discute d’un ou de plusieurs de ces thèmes. Il en est ainsi parce que résumer et faire des listes est plus facile cognitivement qu’analyser, comme l’indique la fameuse taxonomie de Bloom. Le résumé et le bilan des thèmes ont pour but de mettre tout le monde « sur la même page », de faire rappeler le texte collectivement, un texte que les étudiants auraient après tout lu à des moments différents, certains à 4h du matin le jour du cours, d’autres une semaine avant, peut-être. Ce rappel et ce bilan collectif aident à souder une communauté d’interprètes se souvenant de et travaillant sur le même objet textuel. Je pense par ailleurs que créer une telle communauté, où les étudiants viennent en cours avec l’idée qu’ils ont des fruits précieux d’analyse à partager et que les autres vont écouter leurs interprétation du texte, est indispensable à notre époque de plus en plus numérisée et fragmentée…. Mais pour revenir à la progression, après le résumé et le recensement des thèmes, on discute de ces thèmes ou des questions narratives ou formelles en profondeur. Là on est toujours sur le plan global du texte, mais on en vient à la spécificité par l’analyse d’un passage du texte dont le contenu et la forme sont particulièrement riches et complexes. J’ai par ailleurs toujours comme règle de faire analyser au moins un passage en cours pour aiguiser les compétences analytiques des étudiants et les miennes par ailleurs. Ensuite, pour passer à l’étape finale du cours, celle qui cognitivement est la plus difficile, la synthèse, je demande aux étudiants d’utiliser ce qu’ils ont appris en analysant tel ou tel thème, tel ou tel passage, pour évaluer le texte global, c’est-à-dire que je leur demande d’utiliser la partie pour évaluer le tout. Ensuite, pour prolonger la synthèse, je leur demande de comparer le texte aux autres qu’on a déjà lus pendant le semestre. Après l’activité, c’est-à-dire la discussion en cours, on en vient à la post-activité, qui consiste généralement d’un devoir écrit. Pour les étudiants en licence, la post-activité peut même consister en une ouverture créative, par exemple une fin alternative du texte en question ou un pastiche du style de l’auteur.
5. (SE-17) Comment réagissez aux commentaires variés de vos étudiants face à un texte? Quels types de remarques (feedbacks) faites-vous ?
(TW) Ma technique préférée est ce que j’appelle le pivot, une technique que j’ai observée utiliser le professeur Sarah Cole de Columbia University, où j’ai fait mon doctorat. Cette technique consiste à résumer en très peu de mots ce que l’étudiant vient de dire et de rediriger la question vers les autres étudiants. Parfois, quand le résumé n’est pas nécessaire, je dis tout simplement « Réactions ? » J’appelle mon autre technique préférée s’appelle la métadiscussion ; là, j’identifie, pour préciser les choses, la question dont on est train de discuter, et je relance la discussion. Par exemple, je pourrais dire « Je crois que la question que nous commentons maintenant est le rapport entre le contexte historique et la narration. Continuons. »
6. (SE-17) Plus généralement, quel doit-être, selon vous, le rôle du professeur dans l’approche littéraire (critique) d’un texte vis-à-vis de ses étudiants? Quel message essentiel essayez-vous de faire passer à vos étudiants ?
(TW) Mon rôle est avant tout de stimuler la pensée critique et d’éviter autant que possible toute imposition dogmatique de ma propre analyse aux étudiants. Je voudrais que les étudiants aient une position légèrement sceptique vers ce que je dis, parce que c’est un tel scepticisme bien fondé, résistant à tout dogme, qui va produire la nouvelle génération de chercheurs. Comme vous pouvez le deviner, j’ai lu Montaigne ! Sinon, le message essentiel que j’essaie de passer aux étudiants est que les fictions sont profondément ambiguës. Pour devenir un lecteur ou lectrice sensible, il faut abandonner la pensée en noir et blanc pour se plonger dans le gris. Or cette zone grise nous permet de jouir d’une infinité de trésors intellectuels pour toute la vie.
Prof. Wikström is an assistant professor in the Department of French and Italian at Tulane University since 2012. His research focuses on sixteenth- and seventeenth-century literature and culture, with a particular emphasis on globalization, cross-cultural encounters, literature and law, performance, orientalism and Historical Formalism. He is currently working on a monograph entitled World Theater: Staging Globalization in Early Modern France which investigates how French theater represented Europe’s interactions with extra-European cultures in the global seventeenth century and treated the complex legal issues that arose from intercultural acts of conquest, slavery and conversion. Publications include “Celebrating the Erotic Empire: Montfleury’s Glorification of “Ottoman” Sexual and Legal Practices” in L’Esprit créateur (2013).
More about Prof. Wikström: http://tulane.edu/liberal-arts/french-italian/twikstrom.cfm
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The Teaching Ressources Team
Sophie Capmartin (Tulane University)
Ana Conboy (College of Saint Benedict)
Jennifer Row (Boston University)