We are very thankful to Professor Jeffery M. Leichman who graciously agreed to answer our questions on his approach to literary texts. He is an Assitant Professor at Lousiana State University. His research focuses on French-language theatre from the seventeenth through the twenty-first centuries, with a special emphasis on the legacy of the Enlightenment in contemporary performance culture. He recently published Acting Up: Staging the Subject in Enlightenment France (Bucknell University Press, 2015). More about Professor Leichman : http://www.lsu.edu/hss/complit/faculty/leichman.php
Enjoy Professor's Leichman very interesting and detailed answers on his teaching approach!
SE-17: Combien de textes primaires abordez-vous par semestre ? S’agit-il d’œuvres intégrales ou bien d’extraits choisis ?
JML: Dans un séminaire pour étudiants de master ou de doctorat, on aborde général un ouvrage par semaine, assorti d’un ou de plusieurs textes critiques (article ou chapitre). Quand il s’agit d’un roman particulièrement long, je le ferai lire sur deux semaines, mais cela présente toutes sortes de difficultés pour le choix d’étude critique, si on ne veut pas trop révéler sur la seconde moitié de l’intrigue (spoiler alert !). Quand il s’agit d’un ouvrage relativement court (comme la majorité des pièces de théâtre), on en lira souvent deux ou trois par semaine. Pour les undergrads, je donne en général une trentaine de pages par classe ; j’essaie de ne jamais utiliser des extraits. Cela fait qu’un roman peut durer plusieurs semaines. S’il y a des textes critiques à ce niveau, je les limite souvent à des études qui clarifient le contexte social ou historique de l’ouvrage ; dans mon expérience, cela améliore la compréhension des textes d’ancien régime beaucoup plus que des analyses formelles que je serai plus susceptible de donner à mes grad students. Tout ceci vaut bien sûr pour des cours en français, dans des universités américaines; car quand il m’est arrivé d’enseigner des textes français en traduction aux étudiants américains, j’ai pu leur donner davantage à lire sans que cela pose de vrai problème.
SE-17: Comment choisissez-vous les textes primaires figurant dans votre syllabus? Quels sont vos critères de sélection/d’élimination?
JML: Le choix de textes est déterminé par le sujet du cours, et ses buts pédagogiques. J’enseigne beaucoup le théâtre, et plusieurs fois j’ai eu l’occasion de donner des cours dont les lectures s’étendent du XVIIe siècle jusqu’au présent. Cela limite bien sûr ce que nous pouvons aborder dans la littérature d’ancien régime, mais il se trouve souvent que, une fois mises en rapport avec leurs héritiers, les étudiants reviennent aux textes classiques pour leur analyse finale. Outre les questions thématiques, il est vrai que certains ouvrages posent problème pour l’enseignement, de par leur longueur, la complexité formelle de leur énonciation, ou l’importance pour la compréhension d’un contexte social ou historique très spécifique.
SE-17: Incluez-vous d’autres types de documents dans le contenu de vos cours de littérature: textes critiques, documents iconographiques, films, etc. …? Quelle importance accordez-vous à ces documents ? Quel usage faites-vous des nouvelles technologies ?
JML: Pour les grad students, je trouve que la littérature critique est utile, à la fois pour montrer la variété d’approches possibles aux textes d’ancien régime, que pour modeler la bonne écriture critique (je n’affectionne pas le jargon…) ; pour les undergrads, outre des présentations de contexte, j’ai recours souvent à des outils qui peuvent aider à structurer notre discussion : le modèle actanciel, la théorie du rire, des définitions ou des concepts qui serviront le long du semestre. Je donne assez souvent des cours sur l’adaptation, qui peuvent mélanger opéra, cinéma, roman, et théâtre. Même quand il s’agit d’un cours uniquement sur la littérature, des supports multimédia (tableaux, cartes, enregistrements de chanson ou de mise en scène, etc.) sont très utiles pour faire vivre les textes. Je m’appuie fortement sur les environnements électroniques entretenus par les universités (Moodle, Blackboard, etc.) pour stocker et distribuer des documents, ainsi que pour animer la discussion avant la réunion en classe. Je demande presque toujours des réponses après chaque lecture, allant du petit essai au blog-post ; ces réponses sont affichées pour tout le monde, et une des présentations orales que je demande aux étudiants au cours du semestre consiste à donner le résumé de cette discussion virtuelle afin de lancer celle que nous aurons de vive voix.
SE-17: Selon vous, combien de temps les étudiants consacrent-ils/devraient-ils consacrer chaque semaine à la lecture des textes primaires (et/ou autres) pour arriver bien préparés à votre cours ?
JML: Question difficile ! Là où une étudiante n’aura besoin que d’une heure pour lire 30 pages et brocher une petite réponse, une autre y mettra le triple. De même, rien ne dit que celui qui met le plus de temps – ou le moins – fera le meilleur travail. Comme règle générale, je trouve que deux heures de lecture pour chaque classe (dans un cours qui se réunit deux fois par semaine) n’est pas trop ; mais le temps qu’il faudra pour réfléchir, pour absorber et synthétiser cette lecture, peut être beaucoup plus important, et est souvent difficile à calculer. L’idéal est toujours quand l’étudiante arrive et explique qu’elle n’a pas vu les heures passer, tant la lecture était absorbante !
SE-17: Donnez-vous des pistes de lecture à vos étudiants (questions, points sur lesquels ils devraient prêter plus d’attention, grille de lecture à compléter,…) en vue d’arriver mieux préparés en cours ?
JML: Je donne des questions de lecture à mes undergrads. Je leur dis que, s’ils peuvent répondre à ces questions, ils ont bien compris ce qui est arrivé dans le texte ; et s’il n’arrivent pas à répondre à certaines d’entre elles, ils devraient relire ces passages. Je ne demande que rarement des réponses écrites à ces questions ; la réponse que je veux n’est pas un résumé de l’intrigue, mais un commentaire sur un aspect frappant, ou une petite analyse d’un passage, un thème, etc. Pour conditionner ces réponses, je m’adresse oralement à la prochaine lecture à la fin de chaque classe, conseillant aux étudiants de faire attention à certains aspects de ce qu’il vont lire pour la prochaine fois.
SE-17: Comment engagez-vous la discussion sur un texte préparé par vos étudiants ? Quelles techniques utilisez-vous pour 1) vérifier la compréhension ; 2) favoriser l’approfondissement ; 3) stimuler les échanges ?
JML: Je demande une réponse écrite à chaque lecture, pour assurer que les étudiants ont réfléchi, et formulé en phrases complètes, au moins une pensée sur le texte. Ensuite, je lance la discussion à partir des observations et commentaires des étudiants, souvent en leur posant des questions sur ce qu’ils on écrit. Si personne ne commente les aspects qui sont pour moi les plus saillants ou importants, j’arrive normalement à mener la discussion en ce sens par le biais des questions sur ce qu’ils ont écrit, mais souvent on y arrive de façon organique. Le fameux « tavail en petit groupes » est aussi utile parfois, surtout avec un groupe qui est particulièrement réticent. S’il me semble qu’il y a de graves lacunes de compréhension, je demande si quelqu’un dans la classe peut les combler, et souvent on lit les passages difficiles (ou intéressants) à haute voix en classe. Dans tous les cas, il s’agit de responsabiliser les étudiants dans leur propre éducation, qui est pour moi la manière la plus efficace de garantir leur adhésion.
SE-17: Comment réagissez aux commentaires variés de vos étudiants face à un texte? Quels types de remarques (feedbacks) faites-vous ?
JML: Je ne décourage jamais la réponse personnelle (qui est aussi souvent positive que négative), mais j’exige par contre que cette réaction serve de point de commencement d’une réflexion, au lieu de son aboutissement. Très bien, vous trouvez cela ennuyeux (ou passionnant, ou compliqué) ; maintenant, il s’agit de creuser cette réponse, de se demander ce qu’il y a – dans la structure, les thèmes, les personnages, le vocabulaire, l’agencement du récit, l’implication du lecteur, etc. – qui provoque cette réponse. De cette manière il m’est arrivé de récupérer sinon l’amour, du moins un certain estime pour des textes difficiles, même chez des étudiants résistants. En mettant la réponse, même subjective, de l’étudiant au centre de la pédagogie, il lui est beaucoup plus difficile de se désengager du débat.
SE-17: Plus généralement, quel doit-être, selon vous, le rôle du professeur dans l’approche littéraire (critique) d’un texte vis-à-vis de ses étudiants? Quel message essentiel essayez-vous de faire passer à vos étudiants ?
JML: Pour les undergraduates, il y a deux « messages » entremêlés. Premièrement, je veux qu’ils lisent ce qu’il y a sur la page, qu’ils arrivent à comprendre ce qui est contenu dans un texte ; pour moi, c’est le devoir le plus important d’une éducation libéral, avec des applications dans tous les domaines de la vie. Que ce texte soit écrit dans une langue qui n’est pas la leur, à une distance chronologique de plusieurs siècles, tant mieux : ce décalage permet de traiter l’objet littéraire, et la réponse qu’il engendre, avec plus d’objectivité analytique. Deuxièmement, il s’agit de dire…ce que vous voulez dire. « Say what you mean. » Dans toute langue, il n’y a rien de si difficile que cela : écrire (ou prononcer) votre pensée. En l’occurrence, c’est la pensée sur un texte, avec tout ce que cela implique comme précision par rapport à l’objet commenté (j’insiste beaucoup sur des preuves textuelles pour fonder les argumentations). Pouvoir énoncer une idée, trouver des preuves en sa faveur, et la défendre, est la définition de la liberté intellectuelle pour moi.
Pour les grad students, les enjeux sont différents ; il s’agit de formation professionnelle, de pouvoir démontrer une maîtrise d’une tradition littéraire, intellectuelle, et historique, et de participer à un discours spécialisé avec d’autres experts. Certes, il s’agit de faire évoluer ces formes aussi, mais d’abord il convient de comprendre leurs bases et leur histoire. Les principes restent les mêmes : lecture détaillée et thèses fondées sur des preuves textuelles, mais avec des apports sociaux, culturels, et théoriques plus prononcés. A partir de cela, on peut faire la critique à toutes les sauces.
SE-17: En tant que spécialiste de la performance, comment abordez-vous cette matière particulière dans vos cours ? Comment sensibilisez-vous vos étudiants à ce thème ?
JML: Avec les undergrads, j’enseigne souvent le théâtre, et une des premières choses que nous discutons est la nature incomplète de cette littérature, dont la finalité n’est pas forcément sur la page imprimée ; j’essaie de présenter les spécificités d’une lecture proprement théâtrale, cette mise en scène mentale qui est souvent nécessaire à la compréhension de l’action. Mais il se trouve que, sans grand expérience en tant que spectateurs au théâtre, les étudiants ont souvent du mal à imaginer leur propre spectacle, et les textes théâtraux restent d’un accès difficile. Récemment, j’ai commencé à intégrer des performances comme projet de fin de semestre, non pas dans l’intention de produire des spectacles pleinement réalisés, mais comme outil d’analyse, pour étendre la réflexion de la lecture par le biais de la voix et de du corps dans l’espace, et c’est une expérience qui a rencontré du succès. Avec les grad students, j’insiste beaucoup sur l’importance du fait social du théâtre dans la société d’ancien régime, non seulement comme divertissement mais aussi comme modèle de pensée ; ainsi, on arrive à retracer la grande importance de la théâtralité (la performance, pour ainsi dire) dans la pensée des Lumières, qui est le sujet d’un séminaire que donné plusieurs fois.
SE-17: Quelle place accordez-vous à la re-contextualisation culturelle ou historique d’un texte dans vos cours ? Vous attendez-vous à ce que vos étudiants aient approfondi le contexte par eux-mêmes ?
JML: Cette question de contexte historique est très important pour moi, et j’oserai dire pour une grande partie des professeurs de ma génération ; il n’est plus vraiment question d’analyser le texte en tant que système clos, mais surtout de le mettre en rapport avec les horizons d’attente du public auquel il était destiné. Dans les cours d’introduction, il incombe au professeur de présenter ce qui est nécessaire – par exemple, un survol des hiérarchies sociales sous l’ancien régime afin de comprendre les enjeux du Bourgeois gentilhomme. Ce travail est d’autant plus essentiel que les représentations populaires de l’ancien régime sont souvent caricaturales, et disent plus sur nous-mêmes que sur les siècles passés. Dans les cours plutôt avancés, cette compréhension est d’autant plus important que l’approche critique intégrera davantage de considérations socio-historiques ; je préconise des lectures préparatoires, mais il s’agit aussi de choisir des textes avec un appareil critique moderne qui fournit des explications utiles. Toutefois, on à toujours à clarifier des détails là où ils sont importants, et surtout de mettre en garde les étudiants contre le préjugé et la généralisation. Les dix-septièmistes et les dix-huitièmistes sauront trouver ce qu’il leur faut, mais je veux surtout que le spécialiste de la poésie contemporaine sorte de mon cours avec des idées justes sur l’ancien régime.
SE-17: Comment se déroule une séance typique de l’un de vos cours ?
JML: S’il y a une présentation orale, je préfère commencer par cela, et laisser développer la discussion à partir des idées apportées par les étudiants. Sinon, je commence avec des commentaires et questions sur les réponses des étudiants, toujours dans le but de les animer et les impliquer dans le débat. Ensuite, si j’ai des observations particulières qui n’ont pas été abordées, je prendrai la parole pour les expliquer ou pour poser des questions qui (j’espère !) mèneront à les considérer. J’aime commencer assez exactement à l’heure, et je trouve que la durée d’une classe n’est presque jamais suffisante pour tout dire !
SE-17: Où puisez-vous votre inspiration pédagogique ? (évaluations complétées par les étudiants en fin de semestre, vos propres observations en tant qu’étudiant, forums professionnels, discussions entre collègues, …)
JML: Au point où j’en suis, j’ai un fonds d’expériences personnelles qui me servent de guide. J’apprends pourtant beaucoup des collègues, à la fois dans mon département et dans le cadre des colloques nationaux ou internationaux. Et surtout, j’écoute aux étudiants ; à la fin du semestre, je leur demande à réfléchir sur ce qui a marché dans la classe, et je partage mes réflexions aussi. Avec les étudiants gradués, dont le séminaire est aussi une formation de pédagogie, cette réflexion accompagne presque chaque classe. A ce niveau, je trouve qu’il y a peu à gagner en cachant la pensée pédagogique sous un voile de mystère ; l’université est précisément le lieu où l’on doit apprendre à analyser la forme autant que le contenu, non seulement des objets étudiés, mais aussi de l’enseignement lui-même.
SE-17: En quelle langue enseignez-vous vos cours ? Pourquoi ? Variez-vous la langue en fonction des textes enseignés ?
JML: Dans la mesure du possible, en tant que professeur de lettres françaises j’enseigne en français. Au niveau de maîtrise ou de doctorat, bien que la langue de la thèse soit le plus souvent l’anglais, il est essentiel de pouvoir s’exprimer et comprendre des arguments complexes en français. Pour les undergraduates, qui ont souvent passé des années dans des classes de langue, c’est une occasion de découvrir que le français peut servir à autre chose que les quiz sur la grammaire ! Pourtant, ils sont de moins en moins nombreux à pouvoir engager des textes en français, les lire et les discuter ; ce qui doit aussi influencer le choix d’ouvrages. Pour remédier à cela, il faudra que les professeurs de lettres s’engagent aussi dans le renouvellement de l’enseignement de la langue – propos impopulaire ! – car les étudiants se découragent trop souvent avant de parvenir aux cours littéraires.
SE-17: Dans quelle langue demandez-vous à vos étudiants d’écrire leurs travaux ? Pourquoi ?
JML: C’est plus ou moins la même question. S’exprimer en français impose une certaine discipline sur la pensée (comme c’est le cas pout toute langue), et je trouve cet effet salutaire pour les anglophones, qui sont obligés de se débarrasser des habitudes d’imprécision qui sont le privilège qui vient avec la maîtrise d’une langue. Et puis, c’est très beau…
Propos recueillis par Sophie Capmartin, Tulane University