Genève, Droz, 2018.
L’éclatante beauté des vers raciniens a exercé une telle fascination sur les critiques, qu’ils ont longtemps négligé cette part de non-dit qu’elle laissait tapie dans l’ombre. La dramaturgie racinienne tire pourtant toute sa force du silence logé en son cœur. Qu’il résulte d’un calcul délibéré ou d’une impuissance à dire, le silence relève aussi bien des ambitions politiques, des codes de civilité, des bienséances théâtrales que des pratiques religieuses. Il représente ainsi la trahison d’une intention que les personnages cherchent à percer et qui maintient en suspens l’intérêt du spectateur. Cette étude se propose de montrer que les tragédies raciniennes s’articulent toutes autour de la profération d’un insupportable aveu. Longtemps caché, retenu, étouffé, il a des effets dévastateurs une fois qu’il est prononcé. En faisant du contrepoint entre silence et déclaration le fondement de sa dramaturgie, Racine sape le bel édifice de la poétique aristotélicienne et impose sa nouvelle vision du tragique. Ce n’est plus la parole qui gouverne l’avancée de l’action, mais les silences qui, loin de la suspendre, la ravivent et la compliquent. Nul besoin de pythie ou de dieux tout-puissants pour condamner l’homme, qui reste libre de se confesser ou de se taire.