La guerre de la « féminisation » n’aura pas lieu

 Éliane Viennot (dir.), Maria Candea, Yannick Chevalier, Sylvia Duverger, Anne-Marie Houdebine (avec la collaboration d’Audrey Lasserre). Donnemarie-Dontilly, éd. iXe, 2016, 217 p., 17€. ISBN : 979-10-900-62-33-7.

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En juin 1984, l’Académie française déclarait la guerre aux partisanes et partisans de la « féminisation des noms de métiers, de titres et de fonctions ». Cet objectif était pourtant modeste, facile à réaliser et nécessaire : les femmes ayant enfin obtenu que toutes les professions, toutes les dignités et toutes les fonctions s’ouvrent à elles, il s’agissait que les activités encore nommées au masculin le soient aussi au féminin. Trente ans plus tard, bien que la « vieille dame du Quai Conti » n’ait cessé de tonner contre les nouveaux « barbarismes » et les coupables de leur introduction, la France a fini par entamer sa « révolution langagière ». Qui ne consistait qu’à se réconcilier avec la langue française.

On connaît les railleries dont les Quarante continuent d’accabler le mot écrivaine (« Parce qu’on y entend vaine »), bien qu’on leur ait fait remarquer depuis des lustres que le mot vain s’entend aussi dans écrivain… Et l’on sait que la meneuse de la troupe, Hélène Carrère d’Encausse, tient à se faire appeler LE Secrétaire perpétuel. Mais qui sait qu’avocate, pharmacienne, poétesse, traductrice… ont longtemps pâti de leurs quolibets et de leur censure – puisque « les Messieurs » n’accueillaient dans leur dictionnaire que les termes ayant leur aval ? « Combien de fois nous demandons-nous les uns aux autres : Écririez-vous cela, vous ? Et si l’on répond non, on raye. », déclarait encore Maurice Druon, ancien Secrétaire perpétuel, en 2005. Qui sait qu’ils mirent près de vingt ans à entendre que sage-femme ne signifiait pas femme sage, mais personne compétente pour aider une parturiente, et donc qu’un homme pouvait porter ce titre ? Et qui se souvient qu’en 1998 ils montèrent à l’assaut comme un seul homme contre « Madame la ministre », ou plus exactement contre les femmes qui avaient demandé à être nommées ainsi ?

Le livre qui paraît aujourd’hui retrace les grandes étapes de cette mobilisation, tout en la replaçant dans une histoire plus longue. Car l’Académie, créée par Richelieu en 1635, a consciencieusement travaillé à masculiniser la langue française, et elle n’a accepté qu’en 1980 d’accueillir sa première femme (qui, heureusement, ne prit aucune part aux polémiques dont il est question ici). Malicieusement décliné à travers la métaphore religieuse – puisque la Maison tient à ce qu’on prenne ses avis pour paroles d’Évangile – l’ouvrage présente deux grandes sections. Dans la première sont rappelées l’histoire et les caractéristiques de l’institution (« le Saint-Siège »), les différentes décisions qui déclenchèrent son ire (« les Offenses ») ainsi qu’un très utile résumé des dogmes qu’elle défend et des arguments qui peuvent leur être opposés (« les Points de doctrine »). La seconde section reproduit des textes en intégralité : ceux qu’émit très officiellement la Compagnie (« les Bulles »), ceux qui furent publiés dans la grande presse par les croisés les plus motivés (« les Exégèses ») et ceux qu’ils adressèrent en désespoir de cause aux représentants de l’État (« les Suppliques »). Autant de textes soigneusement annotés – ou ironiquement commentés. Un « chapelet de perles », une bibliographie et une chronologie des évènements (déclarations, articles de presse, décrets…) terminent le volume.

L’ouvrage est dirigé par Éliane Viennot, professeure à l’Université de Saint-Étienne, dont le livre précédent, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! avait été remarqué (finaliste pour le Médicisessais 2014). Il est signé de plusieurs linguistes et spécialistes de la vie littéraire du XXe siècle, dont Anne-Marie Houdebine, qui dirigea les travaux de la commission mise en place par Yvette Roudy et Benoîte Groult en 1984 – l’événement qui mit le feu aux poudres du Quai Conti. Sa couverture présente un portrait (retravaillé à la manière d’Andy Warhol) de Louise Labé, victime voici dix ans d’une tentative d’expulsion de la liste des autrices… avec les félicitations d’un des Quarante. Voici la Lyonnaise bien vengée !

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