La tragédie qui renaît sur la scène professionnelle parisienne au cours de la saison théâtrale 1634-1635 est tout sauf un objet chimiquement pur : genre hybride, elle recycle des procédés, des formes et des thèmes empruntés à la pastorale et à la tragi-comédie, les genres vedettes de la période. Ce frottement générique persistant explique tout à la fois la composition du Cid, tragi-comédie qui emprunte son sujet à l’Histoire, domaine alors réservé à la tragédie, et celle de Cinna, tragédie qui annexe à la tragi-comédie son marqueur distinctif, le dénouement heureux… à moins qu’elle ne réhabilite un type de tragédie essentiel chez Euripide.
Contrairement à ce que l’histoire littéraire enseigne habituellement, l’expérimentation qui caractérise « l’enfance de la tragédie » (Sarasin, « Discours sur la tragédie » en tête de L’Amour tyrannique de Scudéry) est, cependant, bien antérieure à la production parisienne des années 1630-1640 : c’est une lame de fond qui emporte, en réalité, tout le genre tragique depuis le début du siècle et dont les œuvres de Hardy, Mainfray ou Billard constituent des illustrations aussi décisives que méconnues. On lira donc à la fois une archéologie de la tragédie parisienne des années 1630 et une histoire des pratiques tragiques parisiennes autant que provinciales des premières décennies du siècle.
Sommaire:
Introduction
I. TRAGÉDIE ET IDÉE DE TRAGÉDIE ENTRE 1610 ET 1630
Chap. 1 : L’idée de tragédie
De l’utilité et des parties de la tragédie. – Troubles dans le genre
Chap. 2 : Autour du cas Hardy : tragédie à voir ou tragédie à lire ?
Anciens et Modernes : la querelle autour de Hardy. – Publier la tragédie : place et usages du genre dans le Théâtre de Hardy. – Tragédie à lire ou tragédie à voir ?
Chap. 3 : Pratiques tragiques : un rendez-vous manqué ?
L’héritage de Garnier et sa dilapidation. – Unité de temps et multa tolles ex oculis : des mutations décisives. – Le théâtre normand. – Hardy : une dramaturgie de l’action et du spectacle
Chap. 4 : Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé : hapax ou tragédie de son temps ?
Pyrame et Thisbé et la tragédie d’amour contemporaine. – Une tragédie ovidienne
II. « ET TOUT CELA COUSU ENSEMBLE FAIT… UNE TRAGÉDIE » : LE TEMPS DES EXPÉRIMENTATIONS
Chap. 5 : Rideau : les saisons théâtrales 1633-1634 et 1634-1635
Éléments de chronologie. – Sénèque galant. – Le goût du spectacle. – Du côté de l’Histoire ?
Chap. 6 : 1635-1643 : Un développement exponentiel
Mourir d’amour. – Le spectacle de la tragédie. – Écrire l’Histoire. – La tentation de la violence. – Diversifier les sources : les sujets chrétiens
Chap. 7 : Chaînes d’adaptations et pièces jumelles
Les sujets de Saül et de Cléopâtre. – Les trois Coriolan
III. AUTOUR DU CAS CORNEILLE
Chap. 8 : Tragédie ou tragi-comédie ?
Alcionée et Cléomédon de Du Ryer. – Histoire et fiction : la réflexion de Dalibray. – Deux alternatives à la tragédie : L’Amour tyrannique et La Sidonie
Chap. 9 : Corneille : de L’Illusion comique à Horace
L’Illusion comique : la tragédie de l’acte V. – Horace : crime contre-nature contre mort d’amour
Chap. 10 : Cinna et la tragédie à fin heureuse
Tragédie de la conspiration et fonctionnalisation de l’épisode amoureux. – Pourquoi Cinna finit bien
Conclusion. – Bibliographie. – Index
Bénédicte Louvat-Molozay est maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’université Paul Valéry-Montpellier III et membre de l’Institut universitaire de France depuis 2010. Spécialiste du théâtre français du XVIIe siècle, dont elle a donné plusieurs éditions (Corneille, Molière, Rotrou, Mairet), elle s’intéresse notamment à la musique (Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français [1550-1680], Champion, 2002) et, depuis quelques années, au théâtre d’expression occitane au XVIIe siècle (édition en cours du « Théâtre de Béziers », à paraître chez Garnier).
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