Sous la direction de Marie-Paule de Weerdt-Pilorge avec Marc Hersant et François Raviez.
Et Christophe Blanquie, Frédéric Charbonneau, Damien Crelier, Arnaud Decroix, Alexandre Dupilet, Jean Garapon, Bruno Guermonprez, Élie Haddad, Philippe Hourcade, Georges Kliebenstein, Sylvain Menant, Delphine Mouquin, Juliette Nollez, Francesco Pigozzo, Malina Stefanovska, Mathieu de Vinha, Christian Zonza.
Paris, Éditions Robert Laffont, collection "Bouquins", Paris, novembre 2017. ISBN : 978-2-221-11573. 33 euros.
Ce volume, conçu comme un « auto-dictionnaire », rassemble les meilleures séquences du vaste tableau de moeurs brossé au fil du temps par un démystificateur sans égal.
Proche des plus hauts cercles du pouvoir sans avoir jamais tenu de rôle politique majeur, courtisan critique de Louis XIV, grand admirateur du duc de Bourgogne trop vite emporté par la mort pour pouvoir régner, ami et conseiller malheureux du duc d’Orléans, Saint-Simon est avant tout dans ses Mémoires l’incroyable chroniqueur et historien de la cour de 1691 à 1723.
Grâce aux différentes entrées des notices, on accède ainsi aux événements, aux personnages, à l’essentiel de la chronique, à ses caractéristiques d’écriture mais aussi à l’idéologie de Saint-Simon et à sa conception tant politique qu’historique du royaume fondée en partie sur les préséances, la haine des bâtards de Louis XIV qui signe pour lui l’anéantissement de tout ordre. Visionnaire à rebours, Saint-Simon est pourtant immanquablement tourné vers un avenir à construire. On peut encore y goûter ses admirables portraits tout en finesse et en éclatantes singularités individuelles qui ont fait une grande partie de sa réputation, ses piquantes anecdotes, ses océaniques conversations, ses déserts généalogiques, ses perspicaces réflexions et toute une série de notions pour saisir au plus près l’œuvre, traversée de fulminations irascibles et d’accents touchants quand le tragique de la décadence le dispute au comique des situations et des êtres.
Saint-Simon, extraordinaire polygraphe, ne laisse pas uniquement à la postérité son grand œuvre les Mémoires, mais aussi un nombre impressionnant de textes politiques, historiques, judiciaires ou autres dont on facilite ici l’accès : lettres extraites de sa correspondance, lettre anonyme, mémoires, suppliques, projets, notes qui correspondent autant à des querelles et polémiques ponctuelles qu’à des lignes de force et des ressassements personnels. De l’âge de 15 ans où il rédige son premier texte connu les Obsèques de la Dauphine Bavière jusqu’à l’année 1753, dans l’antichambre de la mort, où il défend inlassablement les prérogatives des ducs et pairs dans quelques mémoires, Saint-Simon n’a jamais cessé d’écrire. Des textes personnels comme la lettre à Rancé, son testament côtoient des analyses historiques comme le Parallèle entre Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, la touchante supplique à Louis XIV dans la Lettre anonyme au Roi ou le vibrant hommage au duc de Bourgogne dans les Collections pour ne prendre que ces quelques exemples. L’occasion est ici donnée de lire des extraits de ces textes trop souvent méconnus, en dehors des Mémoires. Chaque oeuvre, assortie d’une nécessaire mise en situation, permet de saisir, à travers une pensée parfois aride et toujours exigeante, la pépite d’une réflexion ou d’un style. Saint-Simon, sans jamais verser dans la confidence outrancière, livre dans ses textes une vie, une pensée, une idéologie et une écriture dont on ne pourra mesurer la densité et l’intensité qu’à l’aune d’une lecture plurielle. Marginal dans le siècle des Lumières, il appartient cependant pleinement à l’histoire des idées de ce siècle.
Si la figure figée du duc et pair semble dominer ses écrits comme la statue du Commandeur dans la pièce de Molière, Dom Juan, en revanche, son écriture incroyablement innervée par les émotions et les passions les plus sensibles jusqu’à atteindre des sommets extatiques a inspiré bien des auteurs. Au-delà de Proust dont les pastiches de Saint-Simon sont bien connus et dont l’écriture dans À La recherche du temps perdu est véritablement fertilisée par le mémorialiste, bon nombres d’auteurs ont rendu hommage à Saint-Simon. Sainte-Beuve s’extasie : « Si quelqu’un a rendu possible de repeupler en idée Versailles et de le repeupler sans ennui, c’est lui », quand Julien Green évoque la cour comme un « bagne doré » des « ensorcelés » tandis que Taine souligne qu’« avec Shakespeare et Saint-Simon, Balzac est le plus grand magasin de documents que nous ayons sur la nature humaine ». Les frères Goncourt assurent : « Il y a trois styles : la Bible, les Latins, et Saint-Simon » quand Montherlant évoque son « style débraillé ». Et Stendhal de déclarer : « Les épinards et Saint-Simon ont été mes seuls goûts durables. » C’est finalement ce style, véritable vision du monde, qui fait des Mémoires assortis de tous les autres textes une essentielle œuvre-monde.
http://www.bouquins.tm.fr/site/tout_saint_simon_&100&9782221115732.html
Source: Fabula