Revendications des gens de théâtre (interprètes et techniciens)
Jeudi 20 octobre 2022
dans le cadre du programme de recherche ThéPARis. Les Théâtres Parisiens sous l’Ancien Régime : transversalité des pratiques, circulation des personnes, enjeux esthétiques et poétiques
Organisation :
Emanuele De Luca (Université Côte d’Azur – CTEL)
Barbara Nestola (CESR-CMBV)
Jennifer Ruimi (Université Paul-Valéry Montpellier 3/ IRCL)
Des caprices de la chanteuse Antoinette de Saint-Huberty aux mémoires rédigés par Lekain à l’adresse des gentilshommes de la chambre, les revendications des gens de théâtre (acteurs, danseurs, chanteurs, musiciens, décorateurs, mais aussi auteurs) sont nombreuses. Si elles ont une importance variable selon qu’elles sont individuelles ou collectives, elles jouent un rôle indéniable dans la vie théâtrale parisienne au XVIIIe siècle. Dans le cadre du programme ThéPARis – Les Théâtres Parisiens sous l’Ancien Régime : transversalité des pratiques, circulation des personnes, enjeux esthétiques et poétiques, il nous semble essentiel d’interroger cette pratique de revendication et de comprendre si, et comment, les réclamations des gens de théâtres produisent des effets sociaux, de circulation théâtrale, voire de véritables conséquences esthétiques, poétiques, spectaculaires.
Outre le fait que les revendications concernent parfois le statut même du comédien ou de la comédienne dans la société – on pense par exemple au combat de Mlle Clairon pour mettre un terme à l’excommunication des comédiens –, elles peuvent avoir des résonances sur le plan esthétique. Ainsi de la suppression des banquettes sur scène réclamée entre autres par Lekain, qui modifie complètement la relation au spectacle des spectateurs de la Comédie-Française. Il peut s’agir aussi de modifications de l’espace : c’est encore une fois Lekain qui convainc le duc de Duras de « diminuer la salle de la Comédie aux Tuileries », selon l’expression de Papillon de la Ferté, pour éviter aux acteurs de forcer sur leur voix. Il n’y a cependant pas qu’à la Comédie-Française que des acteurs veulent faire entendre leur voix. À la Comédie-Italienne, les banquettes sur le plateau de l’Hôtel de Bourgogne sont éliminées peu de temps après l’initiative de la Comédie-Française. La voix des femmes actrices s’amplifie au cours du temps, pour réclamer une égalité statutaire par rapport aux collègues hommes dans une revendication proportionnelle à leur succès sur scène. Par rapport à la Comédie-Française, les Italiens revendiquent la possibilité de parler français. Les Français revendiquent, de leur part, la nécessité de restreindre le terrain esthétique et poétique des Italiens aux pièces à canevas et aux parodies, sans empiéter sur leur privilège. Les revendications de la Comédie-Française et de la Comédie-Italienne vis-à-vis des théâtres de foire deviennent presque paradigmatiques d’une confrontation serrée qui se déroule tout au long du XVIIIe siècle. Les Théâtres des foires seront capables de tirer profit des modèles poétiques italiens, de contourner les interdictions des Français et d’établir des rapports fructueux avec l’Opéra. À l’Académie royale de musique, les face-à-face entre les chanteurs et les directeurs ponctuent l’histoire de l’institution dès la disparition de Lully. Expression de voix individuelles dans un premier temps, ces revendications prennent aussi la forme de demandes collectives pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, plus complexes à gérer par la hiérarchie.
Cette journée d’étude entend précisément établir une (ou plusieurs) typologie(s) des revendications et mesurer la portée de celles-ci : est-ce que les gens de théâtre bénéficient de moyens d’action nécessaires pour obtenir gain de cause ? Quels leviers utilisent-ils pour parvenir à leurs fins ? Ceux-ci se révèlent-ils efficaces ? Il s’agira aussi de se
demander si les exigences des acteurs et des autres gens de théâtre (individuellement ou collectivement) varient selon les salles où ceux-ci exercent, et si comédiens, chanteurs, danseurs réclament les mêmes choses.
Les autres lieux de la vie théâtrale (théâtre de société, de cour, de collège) sont-ils eux aussi des espaces propices aux revendications ? Est-ce que les circulations des théâtres à recettes aux théâtres gratuits (de cours, de formation, mondains) jouent un rôle dans l’émergence des demandes formulées par les acteurs professionnels des théâtres du roi et/ ou des théâtres de foire ?
Qu’en est-il par ailleurs des femmes ? Ont-elles les mêmes revendications que leurs homologues masculins ? Enfin, quel est le lien entre les différentes revendications des gens de théâtre et la construction de leurs carrières ? Celles-ci peuvent-elles servir une stratégie de carrière ?
Il s’agira également de se demander qui sont les cibles de ces revendications. À qui s’adressent-elles ? On a parlé des acteurs et des auteurs, dont les conflits sont souvent suffisamment médiatisés pour qu’on y pense spontanément, mais il existe également d’autres types de revendications et de luttes. Comment les gens de théâtre font-ils
valoir leurs droits entre eux, au sein d’une même troupe ? Ou par rapport aux chefs de troupe ? Ou encore par rapport au public ? Comment ces rapports de force se manifestent ?
Par ailleurs, existe-t-il des gens de théâtre sans revendication ? Si oui, on se demandera comment expliquer ce silence. Sans doute faut-il un terreau propice à ces revendications. Dans quelle mesure, cela a-t-il à voir avec une certaine visibilité de la profession, une forme d’assise sociale ou de stabilité professionnelle ? En d’autres termes, est-ce que
les revendications des acteurs, chanteurs, danseurs font partie intégrante du processus de « sacre de l’acteur », comme l’ont étudié Florence Filippi, Sara Harvey et Sophie Marchand ?
On pourra voir ensuite dans quelle mesure ces demandes sont source de circulation. Si l’on sait que, souvent, des auteurs ou des compositeurs passent d’un théâtre à l’autre en raison de conflits internes, qu’en est-il des acteurs, chanteurs, danseurs ? On tentera le déterminer ce qui se passe quand une revendication n’a pas abouti et comment s’effectue la circulation entre les différents lieux théâtraux.
Pistes de réflexion :
- Étude de cas de revendications dans les différents théâtres parisiens du XVIIIe siècle (Comédie-Française, Comédie-Italienne, Académie Royale de musique, théâtre
des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent) en particulier quand celles-ci entraînent des effets de circulation d’un théâtre à l’autre. Étude des circulations entre théâtres payants et théâtres gratuits et de leur influence sur la nature et l’efficacité des revendications.
- Revendications entraînant un bouleversement d’ordre esthétique.
-Retours sur ces revendications (comme ceux de Papillon de la Ferté par exemple).
- Revendications et perspectives de genre : les femmes s’inscrivent-elles dans une démarche différente de celle des hommes ?
-Existe-il une transversalité des revendications ?
Les propositions de communication, composées d’un texte de 2500 signes et d’une courte bio-bibliographie, sont à envoyer avant le 15 mars 2022 aux adresses suivantes :
emanuele.de-luca@univ-cotedazur.fr
bnestola@cmbv.com
jennifer.ruimi@univ-montp3.fr