Les poètes et la langue française de Malherbe à Boileau
Colloque international organisé à la Chaise-Dieu (?), les 9 et 10 juin 2022 par Guillaume Peureux (CSLF, Université Paris Nanterre) et Delphine Reguig (IHRIM, Université Jean Monnet – Saint-Étienne)
Au tournant des XVI e et XVII e siècles on peut observer une rupture dans le rapport des poètes à la langue : alors que des poètes et des théoriciens de la poésie, comme Du Bellay ou Ronsard revendiquaient au XVI e siècle l’enrichissement de la langue par la poésie, des auteurs commencent à inverser les positions à l’orée du XVII e siècle ; avec Malherbe ou Deimier, il est désormais question de régler la poésie en fonction de l’usage, selon un principe qui semble s’être largement imposé et avoir été peu discuté au cours des décennies suivantes. Ce qui pourrait passer pour une facilité – écrire comme on parle – relève pourtant du défi. Comment ce défi est-il relevé, de Malherbe qui, méprisant l’activité des poètes et les poètes eux-mêmes, aurait prétendu vouloir être compris des « crocheteurs du port au foin » (Racan, Vie de Malherbe), à Boileau, qui fait quant à lui de la clarté malherbienne la condition de la noblesse de la poésie ? Ces deux auteurs emblématiques témoignent à eux seuls d’une variété d’interprétations de la soumission de la poésie à la parole d’usage. Dans l’histoire, l’argument a encouragé la description d’une crise de la poésie une fois détournée de son illustration traditionnelle d’une mythique « langue des dieux ». Une telle description s’est durablement appuyée sur la représentation figée d’un « cartésianisme » linguistique qui aurait « coupé la gorge à la poésie 1 ». En ce qu’elle a historiquement permis de poser la question de la survie de la poésie, l’interrogation engage des enjeux fondamentaux à l’égard de la nature et des fonctions de la poésie à cette époque. Une telle représentation est également indissociable d’un sentiment sans doute factice d’unité des théories et des pratiques, sentiment que la tradition désigne sous la catégorie de « classicisme » : à ce titre, elle se propose comme un outil d’interrogation particulièrement efficace des catégories de clarté, de netteté, de transparence dont la teneur spécifiquement poétique mérite d’être interrogée.
Plusieurs axes de réflexion peuvent ainsi être explorés :
1. Autour de la réforme malherbienne Que révèle ce rapport à la poésie du statut et des fonctions de la poésie ? Dans quels principes et quels présupposés s’origine-t-il ? Comme expliquer l’adhésion apparemment massive aux exigences malherbiennes ? Aborde-t-on la langue théâtrale ou la prose littéraire avec les mêmes critères que la poésie lyrique ? Peut-on identifier la présence de la problématique de la langue d’usage ou de conceptions pré-malherbiennes au XVI e siècle ? Des locuteurs étrangers ont-ils témoigné d’une spécificité de la poésie en langue française ? Peut-on identifier le moment où ce type de préoccupation cesse d’être formulé ? Y a-t-il une poésie, des genres ou des formes qui seraient plus que d’autres appropriés à la réalisation de ce projet ? Est-ce par exemple le cas de la poésie de circonstance, qui serait, plus que toute autre poésie, destinée à une communication immédiate ? La conformité à la langue d’usage serait-elle un moyen de réintégrer le poète dans la cité ? de lui donner un statut et une légitimité politique ? La poésie aurait-elle un rôle à jouer dans l’unification et la valorisation de la langue française garante de l’unité du royaume de France ? Quelle axiologie relie finalement évaluation de la langue et valeur du travail poétique ? Avec quelle productivité normative ?
2. Parler de la poésie au XVII e siècle De nombreux critiques, experts en poésie, commentateurs, formulent des exigences de « clarté », font de l’intelligibilité immédiate du poème une nécessité et le critère premier de la réussite poétique. On pourra chercher à examiner dans les pratiques (écriture poétique, commentaires, réécritures, discours
théoriques…) les formes prises par cette doxa et son élaboration au fil du siècle selon une périodisation à déterminer. On pourra également se demander quels outils (dictionnaires, grammaires…) les poètes, les théoriciens, les critiques, etc. utilisent pour légitimer cette entreprise et y conformer le processus d’écriture. Quelle place prend la langue dans les discours des poètes et des théoriciens sur la poésie ? Comment s’articulent vraiment poésie, discours sur la poésie et, par exemple, discours de grammairiens ? Quelle forme prend cette articulation dans le genre des arts poétiques ? Quelle conséquence a-t-elle sur le discours concernant les figures ? On pourra aussi s’intéresser à la manière dont ceux qui ne se retrouvent pas dans la position malherbienne ou bolévienne parlent de poésie, depuis Marie de Gournay, Mathurin Régnier ou Théophile de Viau, en passant par les burlesques par exemple. L’enjeu est de mettre à jour d’autres rapports à la langue, d’autres discours sur la poésie dont la différence éclaire d’elle-même la subtilité de l’articulation des représentations de la poésie et de la langue comme matériau et comme médium propre à la poésie. On cherchera à savoir notamment si la diversité de ces articulations est liée à des fonctions particulières qui seraient affectées à la poésie par certains auteurs, dans le cas de la poésie de circonstance par exemple. On pourra également se demander quelles sont les implications idéologiques — notamment politiques — du discours sur la clarté et si ces implications induisent une différence éventuelle entre théorie et pratique de la poésie. Dans ce cadre, on pourra encore interroger la fonction et la réalité éventuelles de la censure sur les textes des poètes.
3. La poésie en question Enfin, si le rapport à la langue a été décisif pour penser la poésie à une certaine époque, on pourra se demander, symétriquement, jusqu’où il est possible de saisir la langue d’usage en lisant des vers de l’époque. Comment identifier des discours ou des pratiques d’écriture divergents par rapport à l’usage ? et comment saisir cet écart par rapport à une norme qui nous échappe forcément puisque ses seuls témoins sont des acteurs impliqués dans des jeux d’autorité et de pouvoir ? Il s’agira de comprendre dans quelle mesure ce rapport à la langue d’usage, langue de chacun, est un enjeu dans les conflits esthétiques de l’époque. On cherchera à savoir si cette position a pu avoir des conséquences sur la versification et sur la langue des vers, c’est-à-dire l’ensemble des codes et propriétés de la langue dans les vers. Et, dans l’affirmative éventuelle, on devra se demander si un tel effet remet en cause la spécificité de la langue dans les vers et si des auteurs ont pu promouvoir une inventivité linguistique hors de l’usage. Il s’agira de mettre en perspective l’identification de la langue poétique à la notion d’écart et sa situation par nature hors du cadre commun, notamment en exposant comment se négocient ces « écarts », par les auteurs, les lecteurs, etc. et comment se dit cette tension dans les textes et dans leurs commentaires.
Les propositions de communication privilégieront les approches transversales par rapport aux démarches monographiques. Elles seront accompagnées d’une présentation succincte et sont à adresser conjointement à Guillaume Peureux (guillaume.peureux@parisnanterre.fr) et à Delphine Reguig (delphine.reguig@univ-st-etienne.fr) avant le 15 septembre 2021.
Comité scientifique :
Wendy Ayres-Bennett (University of Cambridge) Claire Badiou-Monferran (Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle) François Cornilliat (Rutgers University) Federico Corradi (Université L’Orientale Naples) Claudine Nédelec (Université d’Artois) Guillaume Peureux (Université Paris Nanterre) Anne-Pascale Pouey-Mounou (Sorbonne Université) Delphine Reguig (Université Jean Monnet – Saint-Étienne) Gilles Siouffi (Sorbonne Université)