Colloque de la SIÉFAR
26-27 mars 2021
REID HALL
4 rue de Chevreuse, 75006 PARIS
Appel à communications
Dans son Histoire de la folie à l’âge classique (1961) Michel Foucault ne fait nulle part mention d’une différence entre les sexes, tant dans la classification que dans le traitement de la folie. Faut-il en conclure que le lien privilégié construit par la culture occidentale entre femme et folie ne prendrait son véritable essor qu’au XIXe siècle, le célèbre tableau Une leçon clinique à la Salpétrière (1887) jouant le rôle d’image archétypale ? C’est peu probable. Dans les nomenclatures des maladies mentales proposées par l’Antiquité, figure en effet la fameuse hystérie – qui a désormais disparu de la nosographie moderne – cette maladie mentale spécifiquement féminine et liée à la sexualité : la « suffocation de matrice » comme la « fureur utérine » sont ainsi des diagnostics usuels pour les médecins de l’Ancien Régime, le XVIIIe siècle inventant même le terme et la pathologie de « nymphomanie ». La faiblesse « naturelle » de la femme – le plus souvent liée à un utérus dévorant – la rend ainsi particulièrement sensible aux maladies mentales propres à son sexe : on peut évoquer ici le débat aux XVIe et XVIIe siècles entre les partisans de la « folie mélancolique » des sorcières ou des possédées, et ceux qui croyaient à une intervention diabolique, puisque « froide et humide » selon la théorie des humeurs, la femme ne pouvait être atteinte de mélancolie, maladie qui connaît au même moment une valorisation dans le champ culturel comme marque du génie masculin.
À la différence de la folie masculine, souvent plus « cérébrale » et parfois même admirée, le discours médical inscrit donc la folie féminine dans la nature même de la femme, folle dans son corps, mais aussi folle de son corps. Cette pathologisation du désir féminin, perçu comme une menace, est un moyen de contrôle et de domination qui va bien au-delà de la sexualité ; toute femme qui sort de la place qui lui est assignée dans l’ordre social ou moral, décidé par les hommes, est ainsi vite soupçonnée d’être folle. Artistes, mystiques, intellectuelles, femmes politiques ou femmes errantes ou de mauvaise vie, celles qui semblent refuser les normes genrées sont ainsi couramment désignées comme des furies, des hystériques ou encore des lunatiques ; ne dit-on pas que la femme a un quartier de lune dans la tête ? Aussi l’accusation de folie amplifie-t-elle, en les excluant de l’ordre rationnel masculin, l’infériorité des femmes.
C’est dès lors presque toujours une femme qui incarne symboliquement cette folie qui mène le monde, telle la célèbre Moria d’Érasme, traduisant ainsi la fascination paradoxale suscitée par une figure d’autant plus transgressive qu’elle semble ignorer toutes les limites. Aussi, les ouvrages littéraires comme les représentations iconographiques ou encore les œuvres musicales proposent-ils, sur la période de l’Ancien Régime, des représentations de la folie féminine, qui tout en étant fortement ancrées dans la misogynie, rendent parfois hommage à une figure qui peut certes être rejetée et méprisée mais qui peut aussi incarner la libération provocante de la parole comme du désir.
La SIÉFAR propose donc de lancer une vaste enquête sur un sujet qui ne fait qu’émerger, puisque la plupart des ouvrages consacrés à la folie font peu de place à la différence des sexes : comme chez Foucault, il s’agit le plus souvent d’un « non-sujet ». Néanmoins, depuis les années 70, en particulier dans le monde anglo-saxon, la folie féminine – on peut citer à ce propos l’ouvrage de Phyllis Chesler Women and Madness (1972) ou encore le film Family Life de Ken Loach (1971) – est devenu l’objet d’une interrogation sur le lien entre maladie mentale et condition féminine : les femmes ne sont-elles pas poussées dans la folie, à la fois par les injonctions de la société et par une médecine entièrement aux mains des hommes ? Dans le champ de la psychiatrie mais aussi de la psychanalyse, nombreuses sont aujourd’hui les voix qui font entendre une critique de théories historiquement « phallocentrées » et invitent, sans nier la spécificité de certaines pathologies féminines, à reconsidérer la question de la différence des sexes et des genres dans le champ des maladies psychiques.
Dans le domaine historique, on peut citer quelques travaux, principalement sur les XIXe et XXe siècles, ce dont témoigne l’ouvrage de Yannick Ripa, La Ronde des folles : femme, folie et enfermement au XIXe siècle : 1838-1870 (1992). Enfin, signe que le sujet commence, dans le cadre des études de genres, à être exploré, un colloque organisé par le THELIM, Folles littéraires : folies lucides. Les états borderline du genre et ses créations, s’est tenu à Paris, les 8 et 9 novembre 2016, ainsi qu’une journée d’études le 18 novembre de la même année, à Clermont-Ferrand, Histoire de folles. Folie et genre dans les lettres et les arts. Ces deux manifestations, portant l’une et l’autre sur la littérature contemporaine, visent à interroger le lien devenu topique entre création et folie féminine.
Mais force est de constater que la plupart des recherches actuelles portent sur la période contemporaine ; sur l’Ancien Régime, il n’y a pas, semble-t-il, d’ouvrage consacré spécifiquement à cette question ; certes, on trouve pour cette période un assez grand nombre d’études sur l’hystérie – qui dès le XVIIe siècle n’est plus considérée comme une maladie exclusivement féminine – et sur son rôle dans la sorcellerie, la possession, ou encore le mysticisme, phénomènes concernant principalement les femmes. Il y a aussi des articles ou des chapitres d’ouvrage sur les maladies, les thérapies, ou encore sur les lieux d’enfermement des femmes, ainsi que sur les folles de cour, comme la fameuse Mathurine (folle en titre d’Henri IV), à laquelle on attribue par ailleurs nombre d’œuvres satiriques. Pour ce qui est de la littérature, on note surtout des travaux consacrés au choix d’une folle comme personnage dans des œuvres phares telles que L’Éloge de la folie ou encore La grant nef des folles de Josse Bade (vers 1520), et quelques articles sur la fureur des héroïnes féminines et le topos de la folle par amour, tant dans la littérature que sur la scène théâtrale ou lyrique. Par ailleurs, les études sur l’iconographie des fous et des folles sont nombreuses, surtout pour le XVIe siècle.
Cet ensemble riche et disparate nous montre que si certains chemins ont été ouverts il reste encore de grandes zones inconnues à découvrir. Le sujet est non seulement vaste mais, s’étendant sur plusieurs siècles, il demande à être périodisé, les conceptions de la folie comme de la « nature féminine » connaissant, malgré l’existence de constances fortes telles que celle liant la maladie mentale aux caractéristiques biologiques de la femme, des variations considérables. Et il nous faut aussi garder à l’esprit que la folie se définit toujours par rapport à un ensemble de normes qui elles aussi sont variables…
Aussi proposons-nous les axes suivants pour les propositions de communication :
– D’abord un axe historique visant à étudier les définitions de la folie féminine : il s’agira d’examiner la taxinomie genrée des maladies mentales, le lien entre maladie et sexualité, le type de soins accordés aux malades, le rôle des médecins, les lieux d’enfermement, la perception du public. On pourra aussi s’interroger sur les liens entre folie et marginalité (prostitution, crime) et enfin sur l’appréhension d’un certain nombre de phénomènes religieux (mysticisme, possession, sorcellerie) comme relevant d’une folie spécifiquement féminine.
– Le second axe sera consacré à la représentation de la folie féminine dans la littérature et les arts. On pourra s’interroger sur la folie comme figure allégorique féminine – de la Mère sotte au grand air de la Folie dans Platée de Rameau – et étudier l’abondante production satirique, tant dans la littérature que dans l’iconographie, sur la folie des femmes. La figure de la furie de même que celle de l’hystérique ou de la lunatique pourront être l’objet d’analyses dans l’ensemble des formes fictionnelles.
– Dans le troisième axe, il s’agira d’envisager la folie féminine, ou plus précisément l’accusation de folie, comme un moyen de réaffirmer l’ordre patriarcal, tant dans la réalité historique que dans la fiction. Si la violence des calomnies contre les femmes engagées dans la Révolution – elles sont accusées d’être des prostituées, des folles, des furies enragées – est bien connue, qu’en est-il pour ces figures féminines de révoltée, de marginale, ou encore d’intellectuelle ou de créatrice qui les ont précédées ?
– Enfin, le dernier axe est une « bouteille jetée à la mer » : si les œuvres de femmes internées ou considérées comme folles abondent aux XIXe et XXe siècles, et sont désormais l’objet d’une reconnaissance artistique – tant la figure du « fou créateur » s’est imposée, comme l’attestent deux expositions de 2018 à Paris, « La folie en tête » et « Georges Focus. La folie d’un peintre sous Louis XIV » – ne pourrait-on pas trouver sous l’Ancien Régime des écrits et des œuvres artistiques de femmes jugées folles ou se jugeant folles ? Le colloque serait dès lors l’occasion de découvrir une part de la création féminine jusqu’ici ignorée.
Ces suggestions sont loin d’être exhaustives et le comité scientifique est ouvert à d’autres propositions et aussi à d’autres approches. Le but de ce colloque de la SIÉFAR est en effet d’ouvrir un nouveau champ de recherche dans l’histoire et la représentation des femmes sous l’Ancien Régime en lançant une vaste enquête interdisciplinaire.
Les projets de communication devront être adressés avant le 1er septembre 2020 au comité d’organisation de la SIÉFAR :
Marianne Closson : marianne.closson@wanadoo.fr
Nathalie Grande : nathalie.grande@univ-nantes.fr
Claudine Nédélec : clnedelec@yahoo.fr
Ghislain Tranie : ghislaintranie@gmail.com
Comité scientifique : Dominique Brancher (Littérature de la Renaissance, Université de Bâle), Dominique Godineau (Histoire moderne, Université Rennes 2), Sophie Houdard (Littérature française du XVIIe siècle, Paris III-Sorbonne Nouvelle), Marie-Élisabeth Henneau (Histoire médiévale et moderne, Université de Liège), Colette Nativel (Histoire et Histoire de l’art, Paris 1- Panthéon-Sorbonne), Catriona Seth (Littérature française du XVIIIe siècle, Université de Lorraine et Université d’Oxford).
Nous vous demandons d’envoyer une proposition en fichier attaché format rtf, ou doc. de 500 mots maximum, accompagnée d’une « bio-bibliographie » d’une dizaine de lignes, dans lequel figurera votre université ou laboratoire d’affiliation, votre adresse électronique ainsi que vos coordonnées personnelles (adresse et téléphone) nécessaires pour les demandes de subvention. Vous pourrez éventuellement ajouter quelques références bibliographiques si vous avez déjà travaillé sur ce sujet. Le fichier aura pour titre le nom de l’auteur ou des auteurs de la proposition.
Il sera répondu aux propositions avant le 30 octobre 2020. N’hésitez pas à prendre contact avec nous si vous avez des questions.