Université de Francfort (Allemagne)
Pratiques de la recherche et innovation en dehors de l’Université en Europe (17e-21e siècles)
« Le 2 avril 1853, le Révérend George Jones, aumônier de la marine américaine s’embarqua pour un voyage nautique vers le Japon et retour, et observa la lumière zodiacale chaque nuit, chaque soir et chaque matin pendant toute la durée du voyage, soit une période de plus de deux ans. Jones fut méticuleux dans sa documentation de l’apparence du phénomène, et fit des efforts pour éliminer la subjectivité de ses découvertes en cherchant la corroboration de ses compagnons sur le bateau, lesquels n’avaient pas d’attentes préalables sur ce qu’ils étaient censés voir. Ses relevés, publiés en 1856 à Washington, furent la première étude sérieuse et prolongée du sujet et représentent encore aujourd’hui le recueil de données le plus complet consacré à la lumière zodiacale ; en particulier, son compte-rendu de sa variabilité selon le temps et la latitude restent matière à réflexion. » (May, 2008, 4)
Cet exemple montre la manière dont des conditions de recherche extra-académiques influencent le savoir produit. Ici, un aumônier de marine, astreint à de très longues missions accompagnées de mouvements de latitude se livre à des observations astronomiques du même phénomène sur une longue période d’une manière qui ne serait pas possible pour d’autres acteurs. Son travail restait – à tout le moins il y a douze ans – une source d’informations exploitables pour des astrophysiciens s’intéressant à la question.
Le but de ce colloque est d’examiner la production des savoirs scientifiques, médicaux, techniques et artistiques en dehors du monde académique en Europe entre le 17e et le 21e siècle.
Il s’agit de comprendre qui sont ces acteurs extra-académiques, et d’étudier les interactions entre leurs conditions de recherche, le savoir produit et sa réception. L’intitulé de cette question ne devra pas faire présupposer une marginalité des acteurs en question, ni leur centralité d’ailleurs, mais invite à examiner la complexité des interactions entre des milieux sociaux et savants.
Une sociologie de ces acteurs non académiques est un premier angle d’attaque possible, au moyen d’une approche biographique ou prosopographique par exemple. On pourra s’intéresser à des groupes placés à l’intersection des mondes professionnels ou universitaires, ingénieurs, experts ou membres de sociétés savantes. Observer la contribution de médecins de campagne à la recherche médicale ou les réseaux d’acteurs à la marge du monde scientifique produisant des savoirs spécifiques sera aussi une contribution pertinente à cette conférence. L’impact des situations de domination, de classe ou de genre, ainsi que les situations coloniales ou post-coloniales dans la production du savoir seront aussi à étudier.
Un deuxième problème s’intéresse aux conditions matérielles d’observations et de collecte des données. Les acteurs extra-universitaires ont des conditions de recherches spécifiques qu’ils nous faudra examiner, en cherchant à comprendre en quoi ils influencent les résultats. On pourra étendre la question à des acteurs universitaires en situation de terrain improvisé, comme celle d’un Marcel Mauss observant les techniques du corps de ses camarades de combat pendant la Première Guerre mondiale.
La question des contextes guerriers, militaires ou de violences et des découvertes et innovations s’y développant est un troisième axe possible de recherche. On pourra ainsi s’intéresser aux interactions entre milieux scientifiques, militaires et industriels dans des situations de conflits.
La question de l’accès à la littérature scientifique et de la diffusion des travaux est aussi à considérer à la fois du point de vue d’obstacles institutionnels (si ils existent) mais aussi du style et des normes de rédaction, dimension qui a bien sûr une portée différente tout au long de la période, à mesure de la professionnalisation progressive des disciplines scientifiques.
En effet, la prise en compte d’une période de quatre siècles suppose de chercher à comprendre comment les évolutions sur la longue durée de la pratique scientifique et du monde universitaire influent la problématique étudiée ici. Parmi les transformations à considérer, les évolutions des universités (réformes, émergences de nouvelles disciplines, massification), la constitution progressive de disciplines et leur professionnalisation, la colonisation et la décolonisation, l’industrialisation et la place croissante de l’inventivité technique et des brevets ou encore la place des conflits armés dans les sociétés considérées sont à prendre en compte. Une attention à la périodisation et à l’identification de périodes de transition sera appréciée. La pertinence ou non de tournants comme les débuts de l’industrialisation à la fin du 18e siècle, les découvertes majeures du début du XXe siècle ou la massification de l’accès à l’Université au milieu du XXe selon les contextes spécifiques pourra être examinée.
Des communications mettant en question la pertinence même de la catégorie de chercheurs professionnels selon les périodes seront particulièrement remarquées, de même que la possibilité de développer une réflexion critique sur la place d’acteurs non-institutionnels dans nos pratiques actuelles de la recherche.
Trois axes principaux de recherches, entre autres peuvent ainsi être identifiés :
Axe 1 : Conditions de production du savoir
Axe 2 : Acteurs extra-universitaires : portrait de groupes ou d’individus
Axe 3 : Transmission du savoir et interactions avec le milieu universitaire
Ce colloque est organisé dans un cadre franco-allemand. L’espace pris en compte est prioritairement l’Europe avec un accent porté sur ces deux pays, en incluant, pour les périodes où cela est pertinent, leur espace colonial. Des communications sur d’autres espaces sont toutefois possibles.
Les langues du colloque seront le français, l’allemand et l’anglais. Une maîtrise au moins passive de ces langues sera un avantage certain pour pouvoir suivre les débats. Il s’agit d’un colloque destiné à de jeunes chercheurs et donc ouvert aux doctorants, jeunes docteurs et post-doctorants, avec la possibilité d’inclure des masterants avancés ou des chercheurs (maîtres de conférence / Dozenten) en début de carrière. Ce colloque est organisé par des historiens et historiens des sciences mais est ouvert le cas échéant à d’autres disciplines de sciences humaines et sociales, voire à des jeunes chercheurs venant d’autres disciplines (sciences naturelles, ingénierie, médecine, informatique etc.) ayant une réflexion historique sur leur objet de recherche.
Comment candidater :
Pour candidater, envoyer une réponse à cet appel à communication (à l’adresse mail : jeifra2020@gmail.com) avec un titre, accompagné d’un texte d’environ une page, précisant le sujet considéré, la méthode envisagée et les sources utilisées. Le texte pourra être envoyé dans une des trois langues du colloque (Français, Allemand, Anglais). Joindre également un CV. Les communications devront être d’une durée de 20min. Date limite : 2 Mars 2020.
Informations pratiques
Le colloque est organisé par l’Institut Franco-Allemand de Sciences Historiques et Sociales de Francfort. Il aura lieu à la Goethe-Universität de Francfort (IG-Farben Haus, Norbert-Wollheim Platz, 1, Raum IG.1-418), les 15 et 16 juin 2020. Le colloque commencera à 14h le 15 juin et s’achèvera le 16 juin à 18h.
L’hébergement et le trajet, ainsi que les repas pendant la durée du colloque, seront pris en charge par les institutions organisatrices.