Appel à contribution pour le numéro 10 de la revue électronique Litter@ Incognita
(http://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/)
Trop souvent définie comme étant du côté des instincts et de la nature, la sexualité humaine est entourée de contraintes et d’interdits socialement construits. Trop souvent également, le désir sexuel exprimé et représenté est celui des hommes, principaux producteurs et premiers destinataires de ces écrits et de ces images. Le désir féminin a longtemps été construit en miroir par les hommes pour répondre à leurs propres fantasmes : le masochisme féminin faisant pendant au sadisme masculin ; l’exhibitionnisme féminin répondant au voyeurisme masculin ; le désir de violer, auquel correspondrait celui d’être violée, etc. La femme est ainsi traditionnellement un objet du désir et l’instrument de la jouissance masculine plutôt qu’un sujet qui parle, voit, agit et désire de façon autonome. En ce sens, le désir féminin semble d’une certaine manière invisibilisé, au mieux suggéré. Il resterait dans l’ombre non seulement de son pendant masculin, mais également des conventions sociales, littéraires, ou artistiques.
En 1975, Hélène Cixous écrit dans Le Rire de la Méduse : « [i]l faut que la femme s’écrive » (Cixous : p. 37). Pour elle, cet acte « marquera [entre autres] la Prise de la Parole par la femme, donc son entrée fracassante dans l’Histoire qui s’est toujours constituée sur son refoulement » (Cixous : p. 46). Mais qu’en est-il depuis cet appel lancé aux femmes à se « fraye[r] [leur] voie dans le symbolique » (Cixous : p. 59) ?
Le développement de nouvelles pratiques artistiques ainsi que l’essor des adaptations cinématographiques et télévisuelles de romans ces dernières décennies ont fait naître de nouvelles problématiques mais ont aussi permis l’émergence de nouveaux discours. Il nous semble ainsi intéressant de ne pas nous cantonner à l’écriture seule mais de l’articuler avec les images. Cette relation texte-image ne se limite pas au champ de la transmédialité ; elle est également au cœur de dynamiques intermédiales, si nous entendons l’intermédialité comme « l’ensemble des conditions qui rendent possibles les croisements et la concurrence des médias, l’ensemble possible des figures que les médias produisent en se croisant » (Marinielllo : p. 48). Il convient ainsi de se pencher sur des productions culturelles intermédiales et transmédiales qui déjouent les représentations textuelles, visuelles ou psychiques conventionnelles pour mieux interroger les modalités complexes de représentation du désir sexuel féminin. Il ne s’agit pas ici de mesurer ou de démontrer une hypothétique écriture féminine mais bien d’étudier ce que l’articulation entre le texte (écrit ou oral) et l’image (visuelle ou mentale) permet aux femmes dans la représentation et l’expression de leurs désirs sexuels.
Les modalités d’articulation entre les images et les textes ne relèvent pas uniquement d’un procédé réducteur de traduction “à la lettre” de l’image en texte, ou du texte en image. Les relations qui s’établissent entre ces deux éléments sont plus complexes, elles jouent fréquemment avec un écart volontaire entre ce que l’un et l’autre suggèrent. Ce décalage permet de fissurer la représentation, de créer des brèches à travers lesquels s’engouffre l’imagination du·de la lecteur·trice. Ce·tte dernier·ère se projette intimement dans ces failles qui ménagent un espace marginal, alternatif et ambigu, propice au développement du désir féminin. Nous nous intéresserons donc aux imbrications entre les textes et les images qui se répondent imparfaitement, se contredisent, s’opposent, créent des blancs et des silences, ménageant ainsi une multitude d’interstices désirants.
AXES DE RÉFLEXION
Nous invitons les chercheur·se·s et jeunes chercheur·se·s de toute discipline à interroger la relations entre l’articulation texte/image et le désir féminin. Nous proposons quelques axes de réflexion non exhaustifs afin de guider les contributeur·trice·s.
- Adaptations cinématographiques et télévisuelles
Les adaptations de livres au cinéma ou à la télévision sont légion. Ainsi, plusieurs textes écrits par des femmes et mettant en scène leurs sexualités ont été adaptés à l’écran : on pense notamment aux séries Orange is the New Black ou My Mad Fat Diary mais aussi aux adaptations des romans de Nelly Arcan, Virginie Despentes ou encore Marguerite Duras. Quels changements le passage du texte à l’image opère-t-il sur la représentation de la sexualité et du désir des personnages et sur leurs effets sur le·a lecteur·rice et le·a spectateur·rice ? L’image en dit-elle plus ou moins que le texte ?
- Tensions texte/image dans la bande dessinée, le roman graphique et l’album
La bande dessinée, le roman graphique et l’album se nourrissent de la tension entre l’image et le texte, sans cesser d’en réinventer les modalités. Ces trois supports, traditionnellement privilégiés par des artistes masculins, ont cependant été choisis par des artistes féminines, et souvent féministes, pour exprimer, crûment et/ou poétiquement, l’intime et le désir féminins, depuis les mouvements undergrounddes années 1960-1970 (par exemple avec les anthologies d’autrices Wimmen's Comix et Tits and Clits) jusqu’à nos jours (Le Bleu est une couleur chaude de Julie Marauch, Los Juncos de Sandra Uve, etc.). Leur revendication d’un regard féminin et féministe sur les corps, les désirs et les sexualités constitue également un contrepoint à une réification des corps et des personnages de femmes, habituelle dans certaines catégories de bandes dessinées sérielles (histoire, fantasy, science-fiction, etc.). Une réflexion sur la nature et l’évolution de l’intégration du texte à l’image, de la répartition graphique des éléments textuels et visuels sur la planche et de leurs rapports de force et de complémentarité dans ces œuvres d’autrices permettrait notamment d’analyser la déconstruction des représentations sexistes qu’elles opèrent.
- Récits de fans : quand le désir des femmes fait désordre...
Parmi les formes d’expression du désir féminin les plus controversées, on compte le travail des fans. Les fanfictions, les fanarts ou encore le vidding sont des pratiques actives de la réception où les fans vont enrichir l’univers fictionnel d’un produit médiatique. Ces écrits et créations artistiques sont un terrain fertile de jeu et d’expression pour le désir sexuel d’une communauté très majoritairement jeune et féminine : ce sont donc des productions faites par et pour les femmes. La pudique romance hétérosexuelle est loin d’être toujours de rigueur : sadisme, masochisme, transsexualité, homosexualité, bisexualité, écriture et représentations explicites voire pornographiques, viols, etc. sont fréquemment au cœur de ces productions. La crudité de ces textes et images choque à l’extérieur (et parfois même à l’intérieur) de la communauté. Comment s’articulent alors les textes et les images de ces fans pour permettre l’expression de ce désir féminin parfois subversif et introduire du politique au sein de ces pratiques ?
La diversité des contextes dans lesquels la relation entre le désir féminin et l’articulation texte/image est susceptible d’apporter un éclairage invite à la discussion et à un renouvellement des questionnements scientifiques qui y sont attachés. Naturellement, la liste des pistes proposées et les domaines concernés ici sont non-exhaustifs et tout sujet qui se concentrerait sur des enjeux sous-jacents à la question posée sont bienvenus.
Bibliographie Indicative
BOURDAA Mélanie, ALESSANDRIN Arnaud (dir.), Fan studies, gender studies. La rencontre, Paris, Théraèdre, 2017.
CARANI Marie, « Le désir au féminin », Recherches féministes, n°18, 2005, 9–37.
CIXOUS Hélène, Le Rire de la Méduse et autres ironies, Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2010.
DESTAIS Alexandra, Éros au féminin, Paris, Klincksieck, 2014.
GRAMMEL Irene (dir.), Confessional Politics : Women's Sexual Self-Representations in Life Writing and Popular Media, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1999.
Alice HUGHES et Kate INCE (dir.), French Erotic Fiction: Women's Desiring Writing, 1880-1990, Oxford, Berg, 1996.
GRANOFF Wladimir et PERRIER François, Le désir et le féminin, Paris, Aubier Montaigne, 1979.
MACKINNON Kenneth, Uneasy Pleasure: The Male as Erotic Object, Londres/Cranbury, Cygnus Arts/Fairleigh Dickinson University Press, 1997.
MARINIELLO Silvestra. Commencements. In : MÉCHOULAN Éric et al. (dir.). Naître [En ligne]. Montréal : Université de Montréal, Centre de Recherche Intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques, 2003, Intermédialités, n°1, p. 47‑62.
POLLOCK Griselda, Differencing the Canon: Feminist Desire and the Writing of Art’s Histories, Londres et New York, Routledge, 1999.
MODALITÉS DE SOUMISSION
Les propositions de contributions en français (titre et résumé de 500 mots maximum), accompagnées d’une brève notice biobibliographique (affiliation institutionnelle, axes de recherche, publications majeures) sont à envoyer à l’adresse électronique de la revue Litter@ Incognita : litterai@univ-tlse2.fr
Les articles sont soumis de manière anonyme à l’évaluation d’un comité scientifique composé d’enseignants-chercheurs de l’Université Toulouse Jean Jaurès.
Calendrier prévisionnel
- Soumission des propositions avant le 19 novembre 2018
- Annonce des résultats de la sélection des propositions : 1er décembre 2018
- Soumission des articles complets retenus : 15 février 2019
- Publication des articles évalués : juin 2019