Récit et vérité à l’époque classique V
Digressions, dissertations, réflexions dans les récits factuels et dans les récits fictionnels de l’époque classique (XVIIe et XVIIIe siècles)
Colloque international organisé par Catherine Ramond (EA 4195 TELEM Bordeaux Montaigne), Marc Hersant, Érik Leborgne, Nathalie Kremer (EA 174 FIRL Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)
Lieu du colloque : Maison de la recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris III (4 rue des Irlandais, 75005 Paris).
Jeudi 23 et vendredi 24 mai 2019.
« Il faut qu’on s’accoutume de bonne heure à mes digressions », avertit Jacob au début du Paysan parvenu. La narration rétrospective à la première personne accueille naturellement les réflexions morales, scientifiques – philosophiques au sens large – dispensées par un énonciateur bénéficiant d’une large expérience passée. Cette pente digressive et dissertative, récurrente dans les romans des XVIIeet XVIIIe siècles, est également notable dans les récits non fictionnels de l’époque classique, comme en témoignent les mémoires d’Ancien Régime, dont le caractère composite a souvent été remarqué, mais aussi l’autobiographie (si on tient à la distinguer des précédents) depuis son origine : Montaigne s’excusait de ses « farcissures » (« De la vanité ») et Rousseau livre avec ses Rêveries du promeneur solitaire un ambigu d’anecdotes et de méditations qui laisse malaisément entrevoir lesquelles sont subordonnées aux autres. Enfin, les historiens classiques marquent des moments de pause réflexive sur toutes sortes de sujets généraux de politique, d’étiquette ou de société.
Dans l’édition de 1762 du Dictionnaire de l’Académie française la digression est définie comme ce qui est dans un discours « hors du principal sujet », la dissertation comme un « discours où l'on examine soigneusement quelque matière, quelque question, quelque ouvrage d'esprit, etc. ». Rapportées à la dynamique de progression d’un récit, dissertation et digression correspondent à des ralentissements de la « vitesse narrative » (Genette) ou du tempo (Weinrich), voire à une immobilisation de la tension narrative.
Dans la continuité des volets antérieurs du programme « Récit et vérité à l’époque classique », qui repose sur la rencontre et sur le dialogue entre spécialistes du récit de fiction (roman, conte, fable, nouvelle, etc.) et du récit non fictionnel (récit historique, Mémoires, autobiographie, récit de voyage…) aux XVIIe et XVIIIe siècles, on se demandera si les pratiques digressives, dissertatives, réflexives des récits de l’époque classique, aux différents niveaux de l’énonciation (discours de l’auteur, du narrateur, des personnages) participent de fonctionnements similaires de deux côtés de la frontière histoire/fiction, si l’on observe des interactions et des influences d’un champ sur l’autre, si au contraire d’irréductibles différences subsistent en termes de sujets traités, de modalités d’inscription dans le continuum narratif de la digression ou de la dissertation. Le corpus peut s’étendre de la fin du XVIe siècle (Montaigne, Monluc, Brantôme…) au début du XIXe siècle (Chateaubriand, Constant, Stendhal, Balzac…) et inclure également des auteurs étrangers (Milton, Swift, Defoe, Richardson, Gibbon, Goethe…).
Ces journées pourront s’organiser autour de plusieurs axes :
— Identification générique et / ou rhétorique. La nature de la digression ou de la dissertation est-elle identique dans les champs fictionnels et non-fictionnels ? On portera une attention particulière aux auteurs ayant écrit dans les deux champs de la fiction et de l’histoire (La Fayette, Saint-Réal, Voltaire, Rétif…), ainsi qu’aux textes « hybrides » ou inclassables comme l’Histoire amoureuse des Gaules.
— Esthétique : selon Quintilien, la digression est « une partie ajoutée contre l’ordre naturel du discours, qui traite un point étranger, mais néanmoins utile à la cause ». G. Molinié note qu’en littérature « la digression se repère comme tout traitement narratif extérieur à celui de l’histoire ou de l’intrigue centrales » : on touche ici une « articulation esthétique centrale dans la conception même du discours littéraire » (Dict. de rhétorique, 1992). On se demandera si le processus digressif, qui peut dans certains cas aller jusqu’à une prolifération quasi pathologique (par exemple chez Brienne ou Dulaurens), fonctionne de la même manière du côté de la fiction et du côté de l’histoire.
— Utilisation dans l’économie romanesque et fonction dans les récits « historiques » (au sens de Ricoeur) des mémorialistes et des historiens classiques : depuis les « réflexions » dont Marianne s’amuse elle-même, les leçons des petits-maîtres comme Versac, les « traités » en forme de lettres dans les Lettres persanes et La Nouvelle Héloïse, jusqu’aux « dissertations » des libertins sadiens. Chez certains mémorialistes les entretiens entre personnages peuvent se développer sur des dizaines de pages, et traiter des sujets très divers, avec parfois le caractère d’un exposé systématique et très construit. Les sujets abordés sont-ils les mêmes et les modalités d’inscription de ces discours sont-elles similaires dans les deux champs ?
— Approche stylistique : caractéristique de l’écriture digressive chez les narrateurs marivaudiens (Marianne, Jacob, le Spectateur Français, l’indigent philosophe), les mémorialistes et autobiographes (Essais, Rêveries).
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Les propositions de communication (entre 2000 et 3000 signes) comportant le titre provisoire, la problématique et le corpus envisagé, sont à envoyer au comité d’organisation avant le 30 septembre 2018 à au moins deux des adresses suivantes :