17-18 mai, Université de Caen Normandie
Propositions : 15 décembre 2017
Depuis quelques années, le récit sériel et les conséquences de ses formes sur la narration, notamment cinématographique et télévisuelle, interroge. En parallèle à ces travaux et réflexions, ce colloque pluridisciplinaire veut aborder la sérialité sous l’angle particulier du personnage, qu’il soit télévisuel, cinématographique, littéraire, pictural ou dessiné. Il s’agira de s’intéresser à la sérialité de ces personnages inscrits dans une temporalité longue et fractionnée, et de s’interroger sur ce que cette forme d’existence produit, permet, contraint, ce qu’elle révèle peut-être aussi du statut de personnage, en général et dans chaque art en particulier.
L’histoire de l’art est traversée, de manières extrêmement variées, de personnages récurrents. Un même personnage ou un même type de personnages peut être représenté à plusieurs reprises (les dix portraits de son oncle Dominique Aubert par Paul Cézanne[1], la série des Monomanes de Théodore Géricault[2]) ou revenir de manière régulière sur des supports et sous des traits différents (Superman[3], Fantomas[4], James Bond[5]). Un même acteur peut incarner le même personnage dans une série de films mais aussi jouer plusieurs personnages dans une même œuvre, que ce postulat soit inscrit dès le départ[6] ou fruit d’un travail d’adaptation[7]. La sérialité peut aussi constituer un regard critique et analytique sur un personnage d’origine, le modèle réel ou déjà sa représentation (les variations de Francis Bacon à partir du portrait par Velazquez du Pape Innoncent X). Autant de cas de figures, non exhaustifs, dans lesquels des auteurs travaillent sur la récurrence et, d’un art à l’autre, offrent le personnage sériel comme objet d’étude.
Les interventions pourront s’inscrire dans différents axes :
(Dé)Construction du personnage sériel :
Les personnages revenant de manière récurrente peuvent vieillir d’aventure en aventure ou au contraire évoluer dans un éternel présent (le Little Nemo de Winsor McCay[8]). Les stratégies narratives mises en place par l’auteur ou les auteurs pour satisfaire au jeu entre répétition et nouveauté propre au retour d’un personnage, synthétisé par la notion de héros bibliothèque (Huftier), pourront faire l’objet d’interventions, de même que les différences entre héros de séries évolutives ou fermées, ou encore le changement de statut et de fonction d’un personnage au fil du récit sériel : de quasi figurant ou personnage secondaire à héros ou antagoniste principal, un personnage peut en effet prendre une importance considérable au fil d’un récit qui s’inscrit dans la durée ou reprend après une interruption (prévue ou non), et inversement (Baroni), que l’on pense aux personnages de la saga des Rougon-Macquart d’Emile Zola[9] ou à certains personnages de Breaking Bad[10].
Personnage sériel et inter/transmédialité :
Les interventions pourront s’interroger sur des personnages sériels circulant d’un support à l’autre, parfois dans le même temps d’un pays à l’autre : qu’advient-il de Sherlock Holmes, héros des romans anglais de Sir Arthur Conan Doyle lorsqu’il prend vie au cinéma sous les traits du britannique Basil Rathbone[11] puis de l’américain Robert Downey Jr[12], avant de devenir le personnage principal de la série télévisée anglaise Sherlock sous les traits de Benedict Cumberbatch[13]? D’une autre manière, le personnage de Buffy change lui aussi de support, ce changement suivant l’évolution de l’héroïne : née au cinéma, Buffy se développe ensuite au sein d’une série télévisée avant que ses aventures ne continuent en bande dessinée[14]. Le personnage rentre ainsi à deux reprises dans une logique sérielle, passant de la télévision au comics : la Buffy dessinée est-elle la même que la Buffy incarnée par Sarah Michelle Gellar ?
Dans ce cadre là, il pourra également être intéressant de s’interroger sur le développement d’un personnage adapté d’un support quand la chronologie de l’adaptation dépasse celle de l’original : ainsi la série télévisée Game of Thrones[15] commence-t-elle comme une adaptation des romans de George R. R. Martin avant que l’évolution des personnages à la télévision ne rattrape puis ne dépasse leur état dans le roman. Comment un personnage s’émancipe-t-il ou accomplit-il alors l’arc narratif qui était le sien dans le roman et quelles conséquences cette émancipation pourra-t-elle avoir sur le texte à venir ? Plus généralement, comment le processus d’adaptation et celui de sérialisation dialoguent-ils ?
Economies sérielles :
Une des spécificités du développement sériel d’un personnage est la place que peuvent prendre, dans son évolution, les réactions de ceux qui suivent ses aventures : qu’il s’agisse d’Eugène Sue recevant pendant l’écriture des Mystères de Paris[16], des courriers de lecteurs lui demandant le retour de tel ou tel personnage ou des forums consacrés à des séries télévisées ou des films dans lesquels les fans réagissent, formulent des hypothèses quant au devenir de l’un ou l’autre de leur héros, les adeptes d’un personnages s’investissent dans son évolution. Ces (tentatives d’) interventions viennent-elles contrer la liberté des auteurs voire des autres lecteurs/spectateurs (Jouve)? Quelles places prennent-elles (avec ou contre l’auteur/les auteurs) dans la construction du récit sériel qui parfois subit mais parfois aussi intègre, voire se nourrit à la fois de ces commentaires mais également de ses conditions de productions et de ses incertitudes (Goudmand).
Les interventions pourront également étudier la réception et les attentes spécifiques par rapport à ce type de personnage et, dans certains cas, la naissance d’un nouveau personnage qui en émane, ni la créature de fiction ni l’acteur qui l’incarne mais les deux à la fois (Chalvon-Demersay). Elles pourront s’attacher à questionner les spécificités du héros sériel selon les genres dans lesquels il se développe : souvent attaché aux genres et auteurs populaires, le héros sériel se retrouve néanmoins aussi dans des genres ou chez des autres dits nobles ou auquel le temps a rendu leur noblesse[17] : y existe-t-il et s’y développe-t-il alors selon les mêmes modalités (narratives, esthétiques) ? Participe-t-il ou a-t-il participé à faire bouger certaines frontières ? Dans tous les cas, il s’agira de croiser les approches et les disciplines afin de proposer quelques hypothèses sur la spécificité du personnage sériel.
Les propositions de communications d’une quinzaine de lignes sont à envoyer pour le 15 décembre 2017 à helene.valmary@unicaen.fr. Elles seront évaluées par un comité scientifique constitué de Julie Anselmini (MCF, Université de Caen, LASLAR EA4256), Fabien Boully (MCF, Université Paris Nanterre, EA4414 HAR), Claire Cornillon (MCF, Université de Nîmes, RIRRA 21), Stéphanie Loncle (MCF, Université de Caen, CRHQ EA7455), Camille Prunet (Université de Toulouse-Jean Jaurés, LARA-SEPPIA, EA4154), David Roche (PR, Université Toulouse Jean Jaurès, DEMA/CAS EA 801).
Bibliographie indicative
Raphaël BARONI, « Intrigues et personnages des séries évolutives : quand l’improvisation devient une vertu », in Raphaël Baroni et François Jost (dir.), « Repenser le récit avec les séries télévisées », Télévision n°7, Paris, CNRS éditions, 2016, pp. 31-48.
Sabine CHALVON-DEMERSAY, « Enquête sur l'étrange nature du héros de série télévisée », Réseaux 2011/1 (n° 165), pp. 181-214.
Umberto ECO, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993.
Vincent JOUVE, L’effet-personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, 1992.
Anaïs GOUDMAND, « "Oh my God ! They’ve killed… !" Le récit sériel entre autonomie et hétéronomie : conséquences du départ non planifié des acteurs », in Raphaël Baroni et François Jost (dir.), « Repenser le récit avec les séries télévisées », Télévision n°7, Paris, CNRS éditions, 2016, pp. 65-83.
Arnaud HUFTIER, « Vertiges de la série : M. Wens de S.-A. Steeman ou réécrire la répétition », in Jean-Paul Engélibert, Yen-Maï Tran-Gervat, La littérature dépliée, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, pp. 383-395.
Murray SMITH, Engaging Characters, Oxford, Clarendon Press, 2004.
[1] Durant la même période de 1866, Cézanne peint une dizaine de portraits de cet oncle, sous des angles différents, avec des déguisements variés (en moine, coiffé d’un turban ou d’un bonnet de coton).
[2] Il est question de dix toiles dont cinq seulement auraient survécu, peintes aux alentours de 1820 : Le Monomane du commandement militaire, Le Monomane du vol, Le Monomane du vol d’enfants, La Monomane de l’envie, La Monomane du jeu.
[3] Créé par Joe Shuster et Jerry Siegel en 1938, le personnage de Superman a vu ses aventures déclinées dans plus d’une dizaine de comics écrits par différents scénaristes et dessinateurs. Il a été également adapté en feuilleton radiophonique et au cinéma sous les traits de Christopher Reeve (la tétralogie Superman de 1978, 1980, 1983, 1987), Brandon Routh (Superman Returns, Bryan Singer, 2006), Henry Cavill (Man of Steel, Zack Snyder, 2013).
[4] Créé par Pierre Souvestre et Marcel Allain et développé entre 1911 et 1913 dans une trentaine de romans, Fantômas a connu au cinéma les traits de différents acteurs (René Navarre chez Louis Feuillade en 1913-1914 ou encore Jean Marais dans les adaptations de André Hunebelle [Fantômas, 1964 ; Fantômas se déchaîne, 1965 ; Fantômas contre Scotland Yard, 1967])
[5] Le personnage de James Bond a été créé par Ian Fleming dans le roman Casino Royale en 1953 et a vu ses aventures déclinées dans 12 romans et 9 nouvelles par cet auteur. Après sa mort en 1964, plus de 8 auteurs se sont succédés pour raconter de nouvelles aventures du personnage. Dans le même temps, James Bond a été adapté au cinéma sous les traits de différents acteurs : entre autres, Sean Connery entre 1962 et 1967 ; Roger Moore entre 1973 et 1985 ; Pierce Brosnan entre 1995 et 2002 ; Daniel Craig depuis 2006.
[6] On peut penser par exemple au cinéma à Sabine Azéma et Pierre Arditi dans Smoking/No Smoking (Alain Resnais, 1993) ; Denis Lavant dans Holy Motors (Leos Carax, 2012) aux acteurs de Cloud Atlas (sœurs Wachowski, 2012). Dans la série télévisée, évoquons American Horror Story (Brad Falchuk, Ryan Murphy, FX, 2011-) et son principe de faire revenir à chaque saison les mêmes acteurs dans de nouveaux rôles.
[7] Ainsi Gwénaël Morin évoque-t-il une adaptation de l’Antigone de Sophocle dans le cadre du Théâtre Permanent des Laboratoires d’Aubervilliers : « Nous avons décidé au regard de la construction de la pièce de Sophocle qui ne fait jamais apparaître plus de trois personnages en même temps, (…) que les personnages (…) puissent être interprétés par un même acteur (…). Si nous faisons jouer Antigone et Hémon par le même acteur par exemple, cela permet au moment où Créon porte le corps d’Hémon, son fils, mort, de porter aussi le corps de l’acteur qui joue Antigone. Il porte les deux morts en même temps. Il y a ainsi une sorte d’évidence de la dramaturgie.», http://www.leslaboratoires.org/article/antigone-discussion-collective, page consultée le 14 août 2017.
[8] Entre 1905 et 1914, Winsor McCay publie hebdomadairement dans le New York Herald Tribune les aventures de son Little Nemo in Slumberland : chaque planche déroule le récit d’un rêve du petit garçon Nemo qui, systématiquement, à la dernière case, se réveille.
[9] Vingt romans écrits entre 1871 et 1893 mettant en scène cinq générations d’une même famille.
[10] Breaking Bad, Vince Gilligan, AMC, 2008-2013.
[11] On compte une série de 14 films (entre 1939 et 1946) avec Basil Rathbone dans le rôle de Holmes et Nigel Bruce dans celui de Watson, la plupart réalisés par Roy William Neill.
[12] Sherlock Holmes, Guy Ritchie, 2009 ; Sherlock Holmes : jeux d’ombres, Guy Ritchie, 2011.
[13] Sherlock, Mark Gatiss, Steven Moffat, BBC One, 2010-2017.
[14] Buffy, Fran Kuzui, 1992 ; Buffy contre les vampires, Joss Whedon, The WB/UPN, 1997-2003 ; Buffy contre les vampires, Joss Whedon, 2007-.
[15] Games of Thrones, David Benioff, D. B. Weiss, HBO, 2011-.
[16] Les Mystères de Paris furent publiés en feuilleton dans Le Journal des débats en 1842-1843.
[17] Pensons au cinéma au personnage d’Antoine Doinel chez François Truffaut (Les 400 coups, 1959 ; Antoine et Colette, 1962 ; Baisers volés, 1968 ; Domicile conjugal, 1970 ; L’Amour en fuite, 1979) ou à Paul Dédalus chez Arnaud Desplechin (Comment je me suis disputé… ma vie sexuelle, 1996 ; Un Conte de Noël, 2008 ; Trois souvenirs de ma jeunesse, 2015).
Source: Fabula