Avis de Soutenance
Mathilde Mougin soutiendra sa thèse intitulée « De l'expérience des corps à la fabrique d'une "science" de l'homme : discours pré-anthropologiques dans la littérature de voyage (1578-1721) ».
La soutenance aura lieu le jeudi 21 décembre à l'Université d'Aix-Marseille et le jury sera composé de :
Gilles Bertrand, Professeur, Université Grenoble Alpes, Rapporteur
Marie-Christine Pioffet, Professeure, York University, Rapporteuse
Grégoire Holtz, Professeur, Université Paris Saclay, Examinateur
Rafael Mandressi, Directeur de recherches, CNRS, Examinateur
Ashley M. Williard, Associate Professor, University of South Carolina, Examinatrice
Frédéric Tinguely, Professeur, Université de Genève, Président du jury
Sylvie Requemora, Professeure, Aix-Marseille Université, Co-directrice de thèse
Anne Carol, Professeure, Aix-Marseille Université, Co-directrice de thèse
Résumé :
Cette thèse a pour objet l’étude de la représentation du corps et de l’être humain dans un ensemble de récits de voyage de la fin du XVIe siècle et du XVIIe siècle réalisés en Amérique (Jean de Léry, Marc Lescarbot), aux Antilles (Jean-Baptiste Du Tertre), en Orient (Robert Challe, Jean-Baptiste Tavernier, François Bernier), en Afrique (Pierre-Martin de La Martinière, Pidou de Saint-Olon, Froger), ainsi qu’en Europe (Montaigne), complété par un corpus iconographique tiré de la littérature géographique contemporaine (Atlas de Blaeu, recueils de costumes, etc.). Qu’il soit le fruit d’un voyage en Amérique, continent incarnant alors l’exotisme le plus radical (Léry, Lescarbot), ou d’un voyage en Orient (Tavernier, Bernier), dont la plus grande proximité n’annule pas la distance morale, le récit de voyage restitue une expérience du corps inédite en même temps qu’il accorde à l’autre une place privilégiée. L’Amérindien, le Turc, le Moghol, l’Africain sont en effet autant d’avatars d’altérité que le voyageur s’emploie à décrire, en même temps que de potentiels alter ego avec lesquels il établit un contact et une interaction à l’occasion d’un séjour plus ou moins long en terre étrangère. Ainsi, le corps est à la fois un opérateur de décentrement et un centre épistémologique par lequel le voyageur accède à de nouveaux savoirs sur l’homme qu’il met en forme dans son récit aux dimensions pré-anthropologiques, et dont la forme homodiégétique constitue un espace privilégié dans lequel s’élaborent et s’affinent sa méthode ainsi qu’une réflexivité propre à la « science ». En effet, soucieux de décrire fidèlement les populations rencontrées, les voyageurs envisagent tout d’abord l’aspect physique de celles-ci, puis leurs ornements et vêtements pour les inscrire dans leur environnement social, avant de détailler leurs coutumes en matière d’unions, de nourriture, de culte ou encore de justice. En outre, les voyageurs manifestent véritablement le désir de produire une « anthropologie » comprise plus généralement comme une « science » de l’homme, insérant pour cela le matériau ethnographique collecté dans une pensée plus large de l’être humain. Ils proposent alors une taxinomie des « espèces » humaines qui participe à une racialisation progressive de l’altérité, jusqu’alors surtout envisagée à travers le prisme de la tradition de la caractérologie morale des climats.
The aim of this thesis is to study the representation of the body and the human being in a set of travel narratives from the late 16th and 17th centuries, written in America (Jean de Léry, Marc Lescarbot), the Caribbean (Jean-Baptiste Du Tertre), the Orient (Robert Challe, Jean-Baptiste Tavernier, François Bernier), Africa (Pierre-Martin de La Martinière, Pidou de Saint-Olon, Froger), as well as in Europe (Montaigne). This study is supplemented by an iconographic material drawn from contemporary geographical literature (Blaeu's Atlas, costume collections, etc.). Whether resulting from a journey to America, a continent that embodied the most radical form of exoticism at the time (Léry, Lescarbot), or a journey to the Orient (Tavernier, Bernier), where greater proximity does not prevent moral distance, the travel narrative conveys a unique bodily experience while granting a privileged place to the other. The Amerindian, the Turk, the Mughal and the African are all avatars of otherness that the traveler sets out to describe, as well as potential alter egos with whom they establish contact and interaction during a more or less extended stay in foreign lands. Thus, the body is both an agent of decentering and an epistemological center through which the traveler gains new knowledge about humans, which is shaped in their pre-anthropological narrative. The homodiegetic form of the narrative constitutes a privileged space for the elaboration and refinement of the traveler's method as much as a reflexivity specific to 'science.' As they endeavor to provide a faithful description of the encountered populations, travelers first consider their physical appearance, then their ornaments and clothing to contextualize them in their social environment, before detailing their customs regarding unions, food, worship, or justice. Furthermore, the travelers genuinely express the desire to produce an 'anthropology,' understood more broadly as a 'science' of humankind, incorporating the ethnographic material collected into a broader thought about the human being. They propose a taxonomy of human 'species,' contributing to a progressive racialization of otherness, which until then had been viewed mainly through the prism of the tradition of moral characterology of climates.
URL de référence : https://cielam.univ-amu.fr/evenements/soutenance-these-mathilde-mougin-21-decembre-2023