Le politique et le féminin : formes et enjeux de la représentation des femmes de pouvoir dans les Mémoires d’Ancien Régime

Lyon (9-10 mars 2017)

Colloque organisé par Cyril Francès (Equipe MARGE)

Université Jean Moulin Lyon 3

Le statut politique du féminin à l’âge classique est éminemment ambivalent : en grande partie nié dans son actualité par les institutions politiques et le discours historique qui les relaie, il est largement fantasmé dans son autorité par l’idéologie galante et les fictions qui la magnifient. Le rapport des femmes au pouvoir s’énonce ainsi majoritairement au travers de représentations qui semblent les détourner chacun de leur fin propre. En effet, qu’elle soit héroïne, guerrière, administratrice ou intrigante, la femme soit se dénature dans l’ambition ou l’exercice d’une puissance politique la condamnant à se « faire homme » – selon une formule que sa souplesse polémique peut transformer en revendication aussi bien qu’en condamnation, mais qui montre combien la pratique du pouvoir suppose un renoncement au féminin –, soit corrompt le pouvoir même en le privant de la force et/ou de la rationalité qui le constituent. Parallèlement pourtant, le féminin ne cesse d’affirmer sa suprématie au sein des sphères où le pouvoir suspend en apparence son emprise directe, en particulier celle de la mondanité dans laquelle la fiction galante se superpose aux hiérarchies officielles. Si, comme l’écrit Claude Habib dans Galanterie française, « la différence des sexes est l’ailleurs du pouvoir », c’est donc en partie parce qu’elle se figure et se pense au sein de l’écart entre la réalité du pouvoir tel qu’il s’incarne et l’autorité du féminin telle qu’elle s’institue dans le discours et les pratiques mondaines.

De la Fronde jusqu’à la Révolution (mais le champ d’analyse peut être étendu de la Renaissance jusqu’au premier Empire), la situation et la configuration de cet « ailleurs » sont instables et changeantes, liées aux évolutions sociales, politiques et idéologiques qui modifient la position des femmes vis-à-vis du pouvoir.  De ce jeu de tensions, les Mémoires témoignent exemplairement, notamment parce que cet « ailleurs » est l’un des lieux à partir duquel peut s’écrire la « contre-histoire » qu’ils ambitionnent d’élaborer. Objectiver la part du féminin au sein de la réalité du pouvoir est en effet un moyen de saisir certains ressorts secrets de l’Histoire, et la plupart des hommes mémorialistes – Retz et Saint-Simon n’étant pas les moindres – s’attachent à évaluer le rôle, assumé ou masqué, ponctuel ou étendu, des femmes dans l’action politique. Plus directement encore, nombre de femmes mémorialistes, de la Grande Mademoiselle jusqu’à Mme Roland, ont été des actrices de la vie politique de leur temps. Elles doivent alors, pour expliciter le rôle qu’elles ont joué, confronter leur parole à l’ensemble des discours qui déterminent la légitimité du féminin dans l’ordre du pouvoir. Dans les deux cas, la difficulté tient à la prégnance de contenus discursifs qui, s’ils permettent de ménager une place au féminin à l’intérieur du pouvoir, brouillent l’intelligence de son action. Ainsi, par exemple, nombre de topiques romanesques donnent une forme et un contenu à la figure de la femme de pouvoir, mais au prix de son idéalisation ou de son retrait dans l’imaginaire. Plus largement, la séculaire « Querelle des femmes » fournit aux mémorialistes un réservoir d’images, culturelles et rhétoriques, qui constituent les modalités d’expression obligées du pouvoir féminin. Tous, lorsqu’ils en viennent à déchiffrer le travail réciproque qu’opèrent l’un sur l’autre le politique et le féminin, en font usage mais, simultanément, en mesure l’inadéquation.

L’enjeu de cette journée sera d’interroger, à travers la question des femmes de pouvoir dans les Mémoires, la manière dont ces œuvres construisent, en marge et en écho aux modèles fictionnels et au discours historique, des représentations du féminin en tant que puissance agissante dans l’Histoire. Comment ces représentations s’élaborent-elles à partir d’images, de normes et de valeurs héritées qu’elles relaient, recomposent ou renouvellent ? Peut-on y distinguer, au-delà de leur caractère fragmenté et multiple, certains paradigmes inédits de ce que serait la femme de pouvoir ou la femme politique ? L’objectif serait de se pencher sur ces questions sans opposer deux hypothétiques visions masculine et féminine, mais au contraire en croisant les regards, afin d’analyser comme une production dialogique la forme que prend la question du genre lorsqu’elle s’ordonne autour du rapport au pouvoir politique.

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