Jeunes chercheurs; date limite le 20 décembre 2016.
Pour son onzième numéro, la revue littéraire Chameaux, destinée à accueillir les articles de jeunes chercheurs (maîtrise, doctorat et postdoctorat) en études littéraires, souhaite ouvrir un espace de réflexion sur les prisons et les enfermements quels qu'ils soient, dans la production de langue française du Moyen Âge à nos jours. En effet, la prison est depuis longtemps un lieu privilégié de la production littéraire, qu’elle soit fictionnelle ou non, et a donné naissance à tout un ensemble de motifs, poétiques, postures, imaginaires, etc., que nous nous proposons d'explorer.
La prison influence la manière dont le monde est perçu, décrit et représenté, elle en détermine en effet tout le cadre spatial. Le cadre temporel y est aussi singulier en ce qu’il place un narrateur ou un protagoniste en dehors du temps quotidien et collectif. Le point de vue sur l’extérieur en vient souvent à reconfigurer la perception du présent subjectif, joignant à la limitation physique une liberté nouvelle de l’esprit et des idées – la prison stimule l’acte de l’écriture. La créativité du captif permet une prise de distance inusitée qui renouvelle le regard sur le monde, et bien qu’elle puisse être un frein à l’écriture, elle l'encourage néanmoins par son pouvoir d'émancipation. La peur engendrée dans ce cas va de pair avec une fictionnalisation du réel en tant que récit de survivance ou de postérité (littéraire et humaine). Le présent fait soit appel au futur, soit appel à l’aliénation d’un présent lancinant. Dans plusieurs cas, on conçoit que l’emprisonnement, par le biais d’une posture littéraire provoquée ou non, c’est-à-dire fictive ou non, mène à une désillusion face au présent. Si la captivité encourage bien souvent la réflexivité des auteurs, elle entraîne parfois une forme de désinvolture. On peut ici penser au Cardinal de Retz ou encore à Bussy-Rabutin qui, dans leurs Mémoires respectifs, mêlent leurs misères et la dénonciation de l'injustice de leur sort à une forme d'ironie et de détachement, faisant montre de ne pas se laisser atteindre par leur captivité.
Aussi, chez plusieurs essayistes et romanciers québécois, prenons Joseph-Guillaume Barthe, poète et patriote enfermé lors des Rebellions de 1837, ou Gérald Godin, poète et homme politique arrêté en octobre 1970, on remarque une tendance à faire de la prison un lieu de l’entre-deux : au moment d’écrire un journal en prison, ceux-ci prennent une distance face au drame collectif en vivant intimement le drame de leur emprisonnement. Arrimant de manière surprenante l'enfermement à la libération intellectuelle et littéraire, les auteurs voient s’enclencher un décloisonnement littéraire au moment même de l’emprisonnement physique.
La prison peut aussi s'envisager dans les rapports qu'elle entretient avec d'autres thèmes : l'amour en est un particulièrement évident. Il n'y a qu'à penser au motif médiéval de la prison d'air, tel qu’il s’incarne notamment dans l'épisode de la Joie de la cour qui clôt le roman Erec et Enide de Chrétien de Troyes en lui offrant une ultime résolution. Le motif de la prison d'air permet ici de réconcilier les armes et l’amour dans la vie du chevalier en palliant le déséquilibre initial. Néanmoins, tous les amoureux qui cherchent à tenir l'être aimé en captivité ne connaissent pas une fin aussi heureuse que dans ce roman arthurien. Pensons entre autres à La Prisonnière, le cinquième tome d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, où le narrateur, faute de pouvoir véritablement sonder le cœur d'Albertine, cherche à en contrôler le corps en la gardant chez lui. Or, si dans cet exemple la captivité rendait impossible le plein épanouissement de l'amour, le motif de la prison heureuse de La Chartreuse de Parme inverse complètement ce rapport. En effet, Fabrice del Bongo, parce qu'il peut observer Clélia du haut de la tour Farnèse, connaît ironiquement le bonheur en prison, allant jusqu'à y préférer son séjour à la liberté.
La notion de captivité pourra être explorée de manière plus abstraite, plus éloignée du lieu même de la prison, que ce soit une cyclicité dans laquelle un personnage serait emprisonné, ou encore dans tout autre phénomène qui pourrait s'y apparenter. En gardant à l’esprit que la prison est un lieu pluriel et un lieu de retrait particulièrement fécond, il s’agira, pour ce onzième numéro de la revue Chameaux, de montrer de quelle(s) façon(s) l'enfermement peut se constituer en un enjeu littéraire à part entière.
Les contributions devront prendre la forme d’analyses (ton universitaire) ou d’essais (ton plus personnel) ; elles sont attendues pour le 20 décembre 2016. La parution du onzième numéro est prévue pour le printemps 2017. Vous pouvez soumettre vos contributions en ligne ou nous les faire parvenir à l'adresse suivante : chameaux@lit.ulaval.ca. N’hésitez pas à nous écrire à cette adresse si vous souhaitez obtenir plus d’informations. Nous vous invitons également à conformer votre texte au protocole éditorial de la revue avant de le soumettre. Veuillez prendre note que les propositions d’articles ne seront pas évaluées, mais seulement les textes entiers.
Alexandra Guité-Verret (Université de Montréal)
Louis Laliberté-Bouchard (Université McGill)
Source: Fabula