Argumentaire
L’histoire sociale du mariage s’est fortement éloignée depuis quelques décennies de la seule problématique démographique de la mesure de la nuptialité (âge au mariage, célibat définitif) et de ses facteurs explicatifs, enjeux qui ont concentré l’attention des historiens lors des premières décennies de développement de la démographie historique.
Dans le cadre de cette rencontre internationale, nous nous proposons d’aborder l’histoire du mariage dans des perspectives renouvelées, mêlant démographie historique, histoire de la famille, histoire sociale, histoire religieuse et politique, anthropologie historique du rituel de mariage, histoire du droit.
Le champ de l’histoire de la famille a depuis ses origines dans les années 1960-1970 pris une orientation très internationale, fruit de l’action de chercheurs ayant un souci marqué du comparatisme (par exemple, Peter Laslett) et de la mise en place d’institutions et réseaux de recherches dépassant le cadre national ou du moins favorisant le dialogue entre les historiographies des différents pays européens (Société de démographie historique ; réseau « Family/Demography » de l’European Social Science History Conference). Sans nier la spécificité des parcours régionaux ou nationaux, bien au contraire, il est un fait que la compréhension des évolutions de la famille en Europe s’enrichit grandement de la mise en perspective des mutations locales. Ce colloque se fixe en conséquence comme objectif prioritaire de contribuer à un dialogue des différentes expériences nationales ou infra-nationales.
L’espace choisi comme référence sera l’ensemble des pays du pourtour européen de la Méditerranée et de la Mer Noire. Dans ce cadre spatial, se superposent différentes oppositions dont la littérature scientifique discute depuis longtemps la pertinence en matière d’histoire ou de sociologie de la famille : l’opposition Est/Ouest pour commencer, que l’on peut décliner à divers niveaux, par exemple entre Europe catholique et de la Réforme et Europe orthodoxe, cette dernière pouvant être aussi rapprochée de la zone de domination ottomane jusqu’au XIXesiècle, mais aussi entre Europe des démocraties populaires (sous influence soviétique directe, ou plus autonomes comme la Yougoslavie ou l’Albanie) et Europe atlantiste (Grèce et Turquie comprise), ou encore entre les deux Europes situées de part et d’autre de la ligne Trieste-Saint-Pétersbourg censée définir, depuis John Hajnal, deux modèles familiaux différents.
Au-delà de ces lignes de fractures supposées, d’autres éléments plaident en faveur d’une certaine unité. Les pays européens composant le pourtour méditerranéen ont souvent été décrits, sur le plan anthropologique, comme ayant connu des évolutions du mariage plus tardives à l’époque contemporaine par rapport à l’Europe du Nord. En histoire de la famille ou en anthropologie historique, un grand nombre de chercheurs s’interrogent sur la réalité d’un modèle familial « méditerranéen », qui serait marqué notamment par une implication forte de la parenté dans la vie sociale et familiale, un certain conservatisme des mœurs, et un individualisme moindre que dans l’Europe du Nord-Ouest. Cette idée, qui émerge dès les premiers travaux de l’Ecole de Cambridge, a été longuement discutée par des chercheurs issus des pays méditerranéens (voir, pour l’Italie, les travaux de Pier-Paolo Viazzo), mais elle a trouvé depuis deux décennies un renouveau sensible grâce aux analyses démographiques contemporaines comparant Europe du Sud et Europe du Nord au sein de l’Union européenne, notamment sur le plan des interactions intergénérationnelles (voir les travaux de David Reher).
Mais on peut également signaler d’autres parallélismes en envisageant la question du mariage du point de vue de son rapport aux formes du pouvoir étatique. Il est un fait que la plupart des pays de la zone ont connu au cours du XXe siècle, de manière durable, à l’exception du cas français, différents régimes de type autoritaire (franquisme, fascismes, communisme, ou encore dictature des colonels dans le cas grec), en tout état de cause, un développement tardif et fragile de la démocratie libérale. Ceci n’a, semble-t-il, pas été sans conséquence du point de vue de l’histoire de la famille, et plus précisément de l’histoire du mariage, et pas seulement du point de vue des évolutions législatives.
Thèmes des sessions
a) Mariages civils vs mariages religieux.
Le mariage est le lieu d’un conflit ou du moins d’une concurrence entre instances régulatrices, en particulier les Eglises et l’Etat. L’historiographie tend à privilégier un récit historique mettant en scène les acteurs institutionnels et s’interroge sur la mise en place des différents modèles législatifs. Rappelons que trois grands types de mariages civils peuvent être distingués : le mariage civil « subsidiaire » offert aux seuls couples qui n’ont pas accès au mariage religieux, seule union normalement reconnue par le droit étatique ; le mariage civil « optionnel » ouvert à tous les couples ne souhaitant pas célébrer leur union devant une autorité religieuse, le mariage religieux étant reconnu par le droit étatique ; le mariage civil « obligatoire », exigé de tous les couples désirant se marier pour être valide selon le droit, mais sans que cela n’empêche par la suite une cérémonie religieuse si les couples le désirent. Toutefois le recours aux différents types de cérémonies, le choix de se passer de l’une ou de l’autre, dans le contexte des législations existantes, doivent aussi être analysés et interprétés au niveau du terrain, c’est-à-dire des individus et des familles. Il s’agit de comprendre le jeu des acteurs entre ces deux formes qui peuvent être ou non exclusives l’une de l’autre. Par exemple, on pourra s’interroger sur la manière dont les acteurs se jouent des écarts en matière d’interdits entre législation civile et législation religieuse.
b) Divorces et séparations.
Ce thème est relativement sous-traité en démographie historique, souvent laissé aux historiens du droit ou abordé essentiellement sous l’angle des procédures judiciaires civiles et religieuses. Une approche s’inscrivant dans une perspective d’histoire sociale ou de démographie historique serait bienvenue. Elle permettrait de mieux replacer dans le temps long le phénomène « contemporain » des ruptures d’unions. Sans entrer trop avant dans une histoire des législations nationales, on s’intéressera à la manière dont les couples se sont appropriés ou non les différents outils juridiques mis à leur disposition ou ont au contraire cherché à les contourner.
c) Les mariages mixtes.
Les mouvements de populations contemporains, les migrations de masses qui affectent aujourd’hui de nombreux pays européens, et la mise en tête des agendas politiques dans les pays concernés des questions d’intégration ou d’assimilation ou encore de cohabitation religieuse sur des territoires ayant connu (apparemment, tout au moins) une certaine unité ethnique ou religieuse jusqu’à ces dernières décennies (ou qui du moins étaient officiellement proclamées), ont relancé de manière saisissante l’intérêt du monde académique pour la problématique des mariages mixtes, compris comme mariages interconfessionnels et/ou interethniques. Il suffit de citer ici le récent ouvrage Intermarriage throughout History, publié par Marius Eppel, Luminita Dumanescu et Daniela Iarza (Cambridge, 2014). Un regard historique de longue durée et la prise en compte des différentes approches nationales offrent d’évidence une source de réflexion utile. Les historiens savent que ces questions de mariages mixtes ont en effet mobilisé les sociétés anciennes presque autant que les contemporaines. La zone méditerranéenne et l’Europe balkanique, carrefour de communautés religieuses, territoires d’extension de diasporas, espace de déplacements plus ou moins forcés de populations, mais aussi de repeuplement, en fournissent une parfaite illustration.
d) La ritualisation du mariage.
Le mariage est aussi une cérémonie et un processus rituel, dont les logiques fluctuent selon les pays, les Églises, les milieux, le contexte politique. Les évolutions historiques de la ritualisation matrimoniale constitueront le cœur de la session, mais on pourra aussi se concentrer sur la mise en scène de la parenté, des amis, du voisinage, des réseaux sociaux dans les rites nuptiaux. Sans entrer dans une histoire économique de l’alliance et, par exemple, de l’endogamie sociale et professionnelle, on s’intéressera à l’économie du mariage et de sa cérémonie. Les cadeaux de mariage, mais aussi les éléments du trousseau tels que les contrats de mariage les décrivent, permettent d’entrevoir certaines dimensions rituelles et symboliques du mariage. Disposer d’approches comparatives concernant les modalités de paiement des dots, la composition des trousseaux, les objets rituels qu’ils contiennent serait souhaitable.
Plus largement, pour analyser l’organisation des cérémonies religieuses ou civiles et leurs évolutions, et celles des fêtes qui entourent la cérémonie elle-même, on privilégiera des approches comparatives ou les contextes d’unions mixtes sur le plan ethnique ou religieux qui sont les plus à mêmes de mettre en évidence les spécificités de chaque rite.
Calendrier et dispositions pratiques de l’appel
Les propositions (titre, résumé d’une page maximum, bref CV) devront parvenir en français, grec, italien, espagnol ou anglais par mail (cf. plus bas) aux organisateurs
avant le 1er juillet 2016
Elles seront examinées et évaluées par les organisateurs du colloque, faisant fonction de comité scientifique. La sélection des communications sera communiquée aux proposants avant le 1er octobre 2016.
Format :
Le colloque se déroulera sur deux jours et comportera quatre sessions successives (pas de sessions parallèles), chacune de 4 ou, à la rigueur, 5 papiers. On pourra accepter des présentations dans trois langues : grec, français, anglais. Un résumé conséquent et un powerpoint détaillé dans une autre langue que celle d’exposition seront exigés de manière à garantir une compréhension générale des communications.
Chaque session comportera un ou deux discutants pour commenter les communications. Les textes seront donc attendus pour le 1er aout 2017 pour permettre aux discutants de préparer les séances et aux différents intervenants de lire en avance leurs contributions respectives.
Le colloque fera l’objet d’une publication plurilingue en Grèce.
Institutions mobilisées
Le colloque est organisé par l’université d’Athènes, avec le soutien de l’Ecole française d’Athènes, du Centre de recherches historiques (unité mixte de recherches CNRS/Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), du Centre Roland Mousnier (unité mixte de recherches CNRS/université Paris-Sorbonne).
Le colloque est également soutenu par la Société de Démographie Historique, principale société savante européenne dans ce champ thématique.
Comité scientifique et d’organisation
- Fabrice Boudjaaba, historien de la famille à l’époque moderne et contemporaine, chargé de recherches au CNRS, au CRH (EHESS), secrétaire général de la Société de Démographie Historique ;
- Eugenia Bournova, professeur en histoire économique et sociale contemporaine au Département de Sciences Economiques à l’Université d’Athènes ;
- Michael Gasperoni, historien, membre de l’Ecole française de Rome,
- Vincent Gourdon, historien de la famille à l’époque moderne et contemporaine, directeur de recherches au CNRS, au Centre Roland Mousnier (Paris-Sorbonne) ;
- Olga Katsiardi-Hering, professeur d’histoire au Département d’Histoire et d’Archéologie à l’Université d’Athènes.
Contacts : envoyez simultanément à vincentgourdon@orange.fr fabrice.boudjaaba@ehess.fr
Source: Cornucopia16.com http://cornucopia16.com/blog/event/appel-le-mariage-dans-leurope-mediterraneenne-de-la-fin-du-moyen-age-a-nos-jours/