Écrire pour la scène (XVe-XVIIIe siècle)
Un numéro double (France/Europe) de European drama and performance studies,
à paraître en 2017 et 2018.
dir. S. Chaouche, E. Doudet, O. Spina
Appel à contribution
Argumentaire
Les praticiens du théâtre contemporain comme les chercheurs qui s’y intéressent interrogent de plus en plus les liens entre écriture et représentation théâtrale. Bruno Tackels a ainsi fait émerger depuis une dizaine d’années la notion d’« écrivain de plateau », mobilisée avant tout pour caractériser une pratique qui s’opposerait à ce que l’on considère comme une tradition immémoriale depuis l’Antiquité : le théâtre comme mise en scène d’un texte préalablement écrit par un auteur-poète dramatique[1].
Ce numéro en deux volumes vise à s’interroger sur la nature et les enjeux de l’acte d’écrire pour la scène, de la fin du Moyen Âge à l’époque moderne. La notion d’« auteur » de textes destinés aux tréteaux apparaît alors ambigüe et difficile à cerner. Il faut, sans doute, moins rechercher un « individu-auteur » qu’une « auctorialité dramatique » : un statut, un geste qui prennent sens dans un dense tissu de relations esthétiques, culturelles, économiques, sociales, politiques. L’écrivain n’est, en effet, qu’un des nombreux rouages d’un système complexe articulé autour de la représentation théâtrale.
Une telle hypothèse explique les deux prolégomènes méthodologiques du numéro Écrire pour la scène.
Il apparaît nécessaire de faire coopérer les différentes disciplines s’intéressant aux spectacles médiévaux et modernes. La littérature par son approche esthétique, l’histoire via une approche économique et sociale ont tout à gagner à dialoguer pour comprendre comment on écrit pour la scène.
Il semble primordial de passer outre la « barrière symbolique » que constitue encore souvent le théâtre classique français au XVIIe siècle. Dès lors, l’enquête entend promouvoir une double approche comparatiste : chronologique, pour montrer les continuités et les évolutions de l’auctorialité dramatique entre le XVe et le XVIIIe siècle ; géographique, en s’intéressant à différents espaces européens, afin de dégager aussi bien des lignes de force convergentes que des spécificités locales, tout en dépassant les traditions historiographiques nationales.
Dans cette perspective, le numéro entend donc suivre plusieurs pistes d’enquête.
1. la pratique de l’écriture théâtrale doit être réinscrite au sein d’une économie du spectacle dont le moment clef est la représentation donnée devant un public. Le théâtre vise aussi (et même « surtout », à certaines époques) à faire vivre des comédiens et leurs satellites. Écrire pour la scène, c’est donc contribuer à créer un produit destiné à s’inscrire dans un rapport marchand entre les « producteurs » (le monde dramatique) et les « consommateurs » (le public). Ceci nous invitera à réfléchir à ce qu’est un « bon auteur » dramatique à ces époques et ce qui fait la valeur d’un texte. Est-ce celui qui permet à une troupe d’attirer le maximum de public payant ? Est-ce celui qui produit le plus vite et au moindre coût ? Est-ce celui qui s’agrège à des réseaux de patronage puissants et rémunérateurs ?
2. À cette aune, l’écriture dramatique sera analysée dans ses aspects matériels et dans son processus. Où, quand, en combien de temps écrit-on ? Quelles sont les transformations opérées dans une œuvre lorsqu’elle passe de la page à la scène, puis de la scène à la diffusion livresque ? Il s’agira par là de réinterroger le statut du texte transmis et qu’on lit/joue aujourd’hui. Enfin, comment les contraintes matérielles de la représentation (types et nombre de comédiens, lieux de représentation…) et le travail des acteurs en scène infléchissent-ils la définition de l’auctorialité ?
3. Au Moyen Âge et à l’époque moderne, l’écriture, dramatique ou non, se nourrit d’emprunts, d’intertextes, de citations (voire d’autocitations) et de la réutilisation de modèles partagés. Ce dernier point est particulièrement important dans des arts du spectacle. Les « scènes à faire » y sont nombreuses, attendues par les commanditaires et appréciées du public, au point qu’elles conduisent à une écriture « sérielle », alimentée de lieux communs scéniques ou d’histoires connues. Cette approche n’exclut nullement qu’il puisse exister des auteurs à la plume recherchée. Mais les talents individuels doivent répondre aux défis d’une forme d’écriture contrainte.
4. Ces interrogations sur le processus de création ouvrent au questionnement de l’auctorialité dramatique d’un point de vue social. L’écriture pour les scènes médiévales et modernes implique fréquemment entre différents « auteurs » des collaborations, des concurrences, qui peuvent aboutir aussi bien à une émulation dynamique qu’à de violents conflit. Ces pratiques contribuent-elles à créer un « champ social » ou une « condition » spécifique à l’auteur de théâtre[2] ? Quel est le statut social, symbolique et économique du dramaturge au sein d’un système théâtral dont il n’est qu’un rouage ? On pourra également s’interroger, au fil des périodes étudiées, sur les conditions d’émergence du « dramaturge » ou du « poète dramatique », revêtu d’une dignité particulière.
5. Véhicule d’une expression publique, l’écriture pour la scène est modelée, contrainte ou stimulée par les cadres politiques et juridiques de chaque époque. Le numéro appellera à questionner l’intervention dans l’écriture dramatique du droit et du pouvoir, conçus selon un large spectre allant du patronage à la censure, et leur contribution à l’évolution du statut de dramaturge. Doit-on attendre, comme le suggérait Michel Foucault, que l’écrivain soit reconnu par la loi comme producteur autonome d’un texte pour que l’auteur de théâtre naisse véritablement[3] ?
Modalités de soumission
Nous vous prions de nous faire parvenir vos propositions (250 à 300 mots en français ou en anglais) accompagnées d’une brève notice biobibliographique (10 à 15 lignes) avant le 30 septembre 2015, aux adresses suivantes : sabine.chaouche@new.ox.ac.uk, Estelle.Doudet@u-grenoble3.fr et ospina@mail.univ-lyon2.fr.
Informations supplémentaires relatives au numéro :
Langue : français ou anglais
Longueur des articles : entre 6 000 et 8 000 mots
Notification de l’acceptation des propositions : novembre 2015
Remise des articles : septembre 2016
Les contributions seront soumises à un comité de lecture avant l’envoi définitif du tapuscrit à l’éditeur.