Université Grenoble Alpes, les 4-5 octobre 2017
coorganisé par Karine Abiven (STIH / Université Paris-Sorbonne)
et Cécile Lignereux (RARE / Université Grenoble Alpes)
Appel à communications
Depuis le début des années 2000, l’apparition de nouveaux outils pour l’étude du discours rapporté (Rosier 1999) a prouvé la fécondité d’un examen serré des formes de la polyphonie, ainsi que l’utilité d’une approche selon les genres de discours (Rabatel 2004 ; Lopez-Muñoz et al. 2006). Pourtant, aucun ouvrage n’a encore été consacré au seul genre épistolaire, dont l’intérêt semble évident sur cette question, en raison de la circulation des discours et de leur mise en scène inhérentes à la lettre. Que l’épistolier relate des scènes agrémentées de paroles rapportées, qu’il prétende transcrire des conversations ou transmettre tel propos d’un tiers, la polyphonie est naturellement au cœur de textes qui consistent, pour une part, en l’orchestration adressée de diverses voix - autres que celle de l’épistolier et de son coénonciateur, dans une perspective véritablement polyphonique, plus que diaphonique (Roulet 1991).
Ce colloque invite ainsi à interroger un genre qui n’a rien d’unifié - lettres fictives ou authentiques, statuts divers des épistoliers, modalités variées de circulation des lettres, etc. La lettre, « hypergenre » s’il en est (c’est-à-dire moins un genre de discours socio-historiquement défini qu’un cadre aux contraintes minimales, qui se retrouve en des temps et lieux variés [Maingueneau 1998]), permet de confronter différentes gestions de la parole rapportée dans des contextes socio-historiques multiples. Dans le sillage de l’intérêt croissant pour les formes et les enjeux de la représentation de la parole au sein de diverses pratiques d’écriture d’Ancien Régime (Siouffi et Louvat 2007 ; Servet 2007), de récents travaux se sont penchés sur les discours rapportés, aussi bien dans les récits de fiction (Hersant, Pilorge, Ramond et Raviez 2011 : 277-342) que dans les genres factuels, comme l’histoire (Volpilhac-Auger et Guellec 2010 ; Hersant, Pilorge, Ramond et Raviez 2011 : 175-220) ou les mémoires (Hersant, Pilorge, Ramond et Raviez 2011 : 223-273).
Penser le rapport à la parole vive s’avère crucial dans un contexte où se multiplient les dispositifs d’encadrement de celle-ci (conversation, formes de théâtralisation de la société, permanence des pratiques de discours d’apparat, etc.). S’agissant plus spécifiquement des genres factuels, l’exigence de véridicité contraint naturellement la relation de paroles : on évitera, par exemple, de multiplier les harangues ou les longs entretiens, qui ne peuvent sans invraisemblance être restitués dans leur détail. Les contraintes et les marges de liberté varient indéniablement selon le type de discours que l’on relate : le caractère approximatif voire apocryphe de brefs mots mémorables est plus justifiable (corollaire de leur exemplarité) que les longs propos rapportés, plus souvent sujets à caution. Qu’en est-il, dans l’épistolaire, de cette parole « sous surveillance » (Rosellini dans Volpilhac-Auger et Guellec 2010 : 33) ?
Des corpus variés pourront servir de point de départ à cette réflexion - échanges épistolaires de la République des lettres (Chapelain, Bayle, Voltaire, Grimm…), correspondances familières ou partiellement impliquées dans l’espace public (Mme de Sévigné, la Princesse Palatine, Diderot…), recueils de lettres (Pasquier, Hélisenne de Crenne, Urfé, Boursault, Grenaille…), romans épistolaires (Guilleragues, Rousseau, Laclos…). Les communications portant sur des textes d’expression française seront privilégiées. On pourra s’inscrire, sans exclusive, dans un ou plusieurs des axes suivants :
Réglages énonciatifs
▪ Selon le type de lettre ou la période envisagée, privilégie-t-on les formes mimétiques du discours rapporté (discours direct ou direct libre) ou les formes diégétiques (discours indirect ou narrativisé) ? Certains corpus proposent-ils une certaine inventivité formelle de ce point de vue ?
▪ Comment évolue le marquage typographique dans tel sous-corpus épistolaire ? Quelles sont les diverses manifestations du décrochage énonciatif ?
▪ Quelle est la voix ou le point de vue dominant dans les contextes polyphoniques ? Dans quelle mesure les discours rapportés affectent-il la voix qui les rapporte ? Grâce, par exemple, aux notions de surénonciation et de sousénonciation (Rabatel 2004), on pourra formaliser les rapports entre les voix, tant le point de vue du locuteur cité peut être modifié, mais peut aussi opacifier celui du locuteur citant. Comment l’hétérogénéité des instances énonciatives et des points de vue, ainsi que l’éventuel effacement énonciatif, sont-ils utilisés dans l’économie d’une lettre ou d’une correspondance ?
Buts rhétoriques
Peut-on répertorier les situations épistolaires qui favorisent le recours au discours rapporté ? À la lumière des descriptifs théoriques et des exemples fournis par les nombreux manuels épistolographiques de l’époque, il paraît possible de mettre au jour des séquences plus ou moins autonomes dans lesquelles le discours citant se sert des propos qu’il rapporte pour renforcer sa force de persuasion. Même si les manuels épistolographiques ne proposent pas de réflexion d’ensemble sur le discours rapporté, ils n’en formulent pas moins régulièrement des prescriptions qui en régulent et en orientent l’usage, en fonction des différents types de lettres et de leur protocole argumentatif propre – ainsi en est-il par exemple de la lettre de remontrance (où il est plus prudent d’alléguer le jugement de tiers), de la lettre de congratulation (où le chœur de discours rapportés, qui accrédite les louanges de l’épistolier, évite à celui-ci de passer pour un flatteur) ou encore de la lettre de condoléance (où la puissance persuasive des exhortations à sortir de la douleur est accrue par la répercussion de voix multiples).
Enjeux pragmatiques
▪ Comment le discours rapporté interagit-il avec les diverses dimensions pragmatiques (notamment les visées illocutoires et perlocutoires) du discours citant, ou le système des places et des relations entre les locuteurs (verticale/horizontale, affective, idéologique) ?
▪ Il arrive que la pression de la polyphonie soit esquivée par l’épistolier : le propos d’autrui peut être simplement évoqué, résumé, reformulé, non seulement par le discours narrativisé mais aussi par toutes sortes de procédures d’évitement (prétérition, allusion, réappropriation de la parole d’autrui, etc.). Quelles sont les stratégies de contournement adoptées par l’épistolier ?
▪ Le discours rapporté et l’épistolaire partagent les problématiques communes que sont l’authenticité ou la fidélité à une parole vive ou prétendument spontanée : quelles sont les modifications de la portée des propos originels ou supposés tels ? Quels sont les enjeux argumentatifs et les stratégies discursives impliqués par la citation ou la reformulation des propos dans la lettre ?
Les propositions sont à envoyer avant le 1er novembre 2016 aux deux adresses suivantes :
karine.abiven@paris-sorbonne.fr et cecile.lignereux@u-grenoble3.fr
Comité scientifique
Frédéric Calas (Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand II)
Delphine Denis (Université Paris-Sorbonne)
Francis Goyet (Université Grenoble Alpes)
Sybille Große (Université de Heidelberg)
Anna Jaubert (Université de Nice)
Dominique Maingueneau (Université Paris-Sorbonne)
Benoît Melançon (Université de Montréal)
Viviane Mellinghoff-Bourgerie (Université de Bochum)
Christine Noille (Université Grenoble Alpes)
Amalia Rodríguez-Somolinos (Université de Madrid)
Laurence Rosier (Université Libre de Bruxelles)
Bibliographie indicative
- Authier-Revuz Jacqueline, « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive : éléments pour une approche de l’autre en discours », DRLAV, n°26, 1982, p. 91-151.
– « Repères dans le champ du discours rapporté », L’information grammaticale, n°55, oct. 1992, p. 38-42, et n°56, janvier 1993, p. 10-14.
- Guellec Laurence et Volpilhac-Auger Catherine (dir.), Des voix dans l’histoire, La Licorne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
- Hersant Marc, Pilorge Marie-Paule, Ramond Catherine et Raviez François (dir.), « Les discours rapportés dans les récits fictionnels et historiques des XVIIe et XVIIe siècles », dans Histoire, histoires. Nouvelles approches de Saint-Simon et des récits des XVIIe-XVIIIe siècles, Arras, Artois Presses Université, 2011, p. 163-342.
- Lignereux Cécile, « Scénographies mondaines et réglages polyphoniques dans les lettres de Mme de Sévigné : l’exemple des compliments », dans Cécile Lignereux et Julien Piat (dir.), Une langue à soi. Propositions, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, p. 139-156.
- Lopez-Muñoz Juan Manuel, Marnette Sophie et Rosier, Laurence (dir.), Dans la jungle des discours. Genre de discours et discours rapporté, Cádiz, Presses Universitaires de Cádiz, 2006.
- Maingueneau Dominique, « Scénographie épistolaire et débat public », dans J. Siess (dir.), La Lettre entre réel et fiction, Paris, Sedes, 1998, p. 55-71.
- Rabatel Alain (dir.), « Effacement énonciatif et discours rapportés », Langages, n° 156, 2004.
- Rosier Laurence, Le Discours rapporté, histoire, théories, pratiques, Paris-Bruxelles, De Boeck & Larcier s.a., éd. Duculot, coll. « Champs linguistiques », n°13, 1999.
- Roulet Eddy, « Structures hiérarchiques et polyphoniques du discours », dans Roulet Eddy, Auchlin Antoine, Moeschler Jacques et al., L’Articulation du discours en français contemporain [1985], Berne, Peter Lang, 1991, p. 9-84.
- Servet Pierre (dir.), Paroles de l’Autre et genres littéraires XVIe-XVIIe siècles, Cahiers du GADGES, n° 5, Genève, Droz, 2007.
- Siess Jürgen (dir.), « La lettre, laboratoire de valeurs ? », Argumentation et analyse du discours, n° 5, 2010, URL : https://aad.revues.org/957
- Siouffi Gilles et Louvat-Molozay Bénédicte (dir.), Les Mises en scène de la parole aux XVIe et XVIIe siècles, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2007.
RESPONSABLE : Karine Abiven & Cécile Lignereux