En grammaire, la catégorie verbale du « parfait » désigne l’état de plénitude d’un fait ou d’une action. Hors du temps historique, hors de la description, cette valeur aspectuelle marque l’absolu, tout comme la perfection telle que l’envisagent, à la suite d’Aristote, philosophes et théologiens. La première mention en français de cette catégorie est relevée (Trésor Informatisé de la Langue Française, www.atilf.atilf.fr ) au XIVe siècle et s’inscrit dans le cadre, plus large, d’une effervescence intellectuelle autour de la notion de perfection. En effet, tant dans les débats philosophiques et religieux que dans les discours médicaux et esthétiques, la notion de perfection, jointe à celle de dignité occupe une place et une fonction centrales : elle permet de juger de la création, dans ses êtres et dans ses œuvres.
C’est dans ce contexte que nous souhaitons examiner la construction intellectuelle de la différence des sexes ainsi que sa remise en question, depuis le Débat de la Rose jusqu’au traité de Poulain de la Barre, De l’égalité des deux sexes (1673) en passant par les méandres de la Querelle des Femmes. L’imperfection supposée de la nature féminine, étayée par les autorités philosophiques et médicales de l’Antiquité et continuée par l’exégèse chrétienne, définit le rapport entre hommes et femmes comme une hiérarchie et non une différence : sous le signe du défaut, la femme est caractérisée par son incapacité à penser, créer et agir. Son imperfection serait inscrite dans son corps, présenté comme inachevé, tandis que la reproduction en fournirait la seule « utilité » causale. Bref, la femme appartiendrait à la catégorie de l’imparfait, dans l’incomplétude et la répétition. Préfiguration de la construction des races comme hiérarchie des communautés humaines, ce déni d’humanité fait aux femmes, aux temps de la construction humaniste de modèles de perfection pour l’être humain et ses créations, n’est pas sans contradiction : dans tous les domaines, il est remis en question, non tant pour son dogmatisme que pour ses incohérences, jusqu’à la proposition d’une notion de la perfection humaine qui se déclinerait au pluriel pour y inclure la femme.
Au prisme des usages (et abus) de la notion de perfection dans les discours que consacrent à la « nature de la femme » médecins, artistes, poètes et philosophes de la première modernité, nous proposons de mettre en regard les modèles de l’absolu et leurs questionnements : la forme du paradoxe, si souvent adoptée lors des joutes oratoires en philogynes et misogynes qui constituèrent le débat sur les femmes, nous paraît refléter une transition intellectuelle dans la construction du sujet qui, entre les catégories du parfait et de l’imparfait, fait entrer le sujet dans l’histoire, la société et le genre. Ainsi, l’indécision de contenu propre au message du paradoxe permet de mettre au jour une indécision quant au statut des autorités, des concepts et des traditions. Parallèlement, l’intérêt nouveau et grandissant pour le corps féminin, objet poétique du désir, figuration de la beauté esthétique ou lieu inconnu de l’anatomie humaine semble tout aussi paradoxal que les discours pour ou contre les femmes de la fameuse Querelle. En effet, l’aimée des poètes pétrarquistes est le reflet de la vieille femme des invectives humanistes, la beauté de Vénus recèle une profonde hideur morale et le mystère de la génération se situe dans les obscures entrailles d’un corps inconnaissable. Dans ces ambivalences, se fait entendre non pas la résolution mais la reconnaissance des contradictions : une culture en mouvement, où la question féminine génère de nouvelles conceptions de la perfection et de l’humanité.
Les articles de ce recueil traiteront, entre 6000 et 8000 mots, en français et en anglais de ces des « paradoxes de la perfection féminine ». Ils examineront comment, entre le XIVe et le XVIIe siècles, les notions de perfection et d’imperfections lancent et relancent le débat sur le déni d’humanité fait aux femmes. Ils porteront sur la représentation paradoxale des femmes dans la littérature, l’art et les discours de savoir.
Pluridisciplinaire, le volume envisagé pourra accueillir, toujours autour de la problématique du paradoxe et de la perfection, des études sur l’art, l’esthétique, les normes de genre, le corps féminin ou la Querelle des Femmes. Les propositions d’articles seront évaluées par le comité éditorial pour leur pertinence vis-à-vis du sujet du recueil et pour leur rigueur scientifique. Afin d’assurer l’unité de la collection, le comité accordera une attention particulière à la cohérence et la complémentarité des soumissions.
Nous voudrions proposer un numéro spécial à la revue Renaissance et Réforme/Renaissance and Reformation (https://rr.itergateway.org/fr), qui publie en français ou en anglais, et assure une double évaluation par les pairs, à l’aveugle. Les volume de cette revue sont accessibles en ligne en accès ouvert, par la plate-forme https://www.erudit.org/fr/ depuis 2018, et auprès des services University of Toronto Libraries’ Journal Production pour les volumes parus depuis 1964.
La date de tombée pour la remise des textes serait le 30 avril 2021, si le projet de numéro est accepté par la revue.
Pour soumettre une proposition, envoyer avant le 25 septembre 2020 par courriel, aux trois membres du comité organisateur [Mercedes Arriaga marriaga@us.es, Patrizia Caraffi patrizia.caraffi@unibo.it et Hélène Cazes hcazes@uvic.ca] un fichier Word comprenant :
vos nom, adresse courriel et coordonnées institutionnelles
le titre de l’article
le résumé de l’article, en anglais ou en français (en moins de 200 mots chacun)
une courte liste des œuvres étudiées dans l’article (3 max.)
éventuellement, vos travaux antérieurs (3 max.) sur des sujets proches.
Le comité éditorial vous reviendra avant le 25 octobre 2020 avec la décision de la revue.