L’objectif de cette journée d’étude est d’observer des actions d’écriture qui façonnent les cours comme lectorat. Il s’agit tout autant d’une contribution à l’histoire des usages politiques et sociaux de la littérature dans la proximité du pouvoir, que d’une invitation à saisir l’idée de cour pensée comme lieu de réception des écrits et comme espace peuplé de lecteurs. L’approche retenue invite notamment à déplacer l’idéologie curiale de Castiglione et Gracian, où la lecture, voire l’écriture, sont pour l’homme de cour des « plaisirs honnêtes qui occupent l’esprit en y imprimant une habitude vertueuse »[1]. Cette image occulte en effet le fonctionnement des cours, où l’écrit et ses modalités de diffusion et de réception démultiplient les moyens d’action dans le champ social.
À l’époque moderne, les savants et les lettrés se servent avant tout du mécénat aristocratique afin de subvenir à leurs besoins essentiels, tout en espérant atteindre, par cet intermédiaire, un patronage royal. S’intéresser aux cours princières à travers le prisme d’une histoire sociale des écrits permet ainsi d’examiner des usages de l’écrit dans l’entourage des puissants, tout autant que de penser la capacité des auteurs à miser sur la représentation idéalisée et fictionnalisée de la cour. Écrire pour la cour, mobiliser la cour comme ressource peut ainsi constituer un moyen permettant, pour une femme ou un homme de lettres, de s’assurer ou de conforter une certaine existence et visibilité. La lecture pose quant à elle un certain nombre de problèmes aux chercheurs comme le rappellent les travaux de Roger Chartier. Les traces de la réception et des effets d’un écrit sur le lecteur sont rares et, à tout le moins, difficiles à interpréter. En effet, ce que nous savons de la lecture nous le connaissons grâce à des récits qui sont aussi des actes d’écriture. Il existe bien des manuscrits ou des imprimés offerts au souverain ou à des personnages curiaux, richement reliés et destinés à des fonctions d’apparat, mais rien ne garantit qu’ils vont être lus. Quant aux écrits qui se présentent comme destinés à la cour, ils peuvent aussi, et surtout, être lus ailleurs. L’espace de réception construit et désigné par le texte est donc à dissocier du milieu social dans lequel il est effectivement reçu. Penser en termes d’action par l’écriture permet de déplacer le regard vers le travail et la démarche de l’auteur en prêtant une attention toute particulière à la manière dont il mobilise la cour, qu’elle soit princière, ducale ou encore pontificale.
Cette démarche permet de soulever un certain nombre de questions. Que voit-on de la cour lorsqu’on l’examine en tant que ressource mobilisée par une femme ou un homme de lettres ? Que signifie pour cette dernière ou ce dernier le fait de mobiliser la cour dans un acte d’écriture ? Qu’est-ce cela implique ? Que signifie le fait de mettre en récit une scène de lecture à la cour ? Et quels effets peuvent induire ces pratiques sur la cour ou l’idée de cour elle-même ?
Une multiplicité de types d’écrits peut être envisagée, aussi bien du côté des belles-lettres que des écritures grises. Quelques exemples non limitatifs peuvent ici être invoqués comme des pistes de recherches. Il en est ainsi de la tradition des épîtres dédicatoires — destinées à solliciter la faveur des Grands mais susceptibles d’être porteuse d’effets de lectures ou de non-lecture. Récemment, Fanny Cosandey a également montré l’important usage des écrits cérémoniels et généalogiques dans la défense des rangs et préséances, ainsi que l’investissement des Grands dans leur production. Les emplois de textes dramatiques seraient également une piste pour ces journées, de même que la rédaction et la diffusion — souvent manuscrite — de mémoires, comme c’est le cas pour celles du duc de La Rochefoucauld, ou encore la circulation et la réception des fables dont La Fontaine, homme de cour, a fait sa spécialité et qui font la satire de comportements curiaux. C’est en effet une histoire de l’écriture de la lecture à la cour ou pour la cour qui est ainsi proposée à la réflexion.
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Comité d’organisation :
Guillaume Bazière, Emily Gervais-Ledoux, Margaux Prugnier,
doctorants en histoire moderne — Université Paris Nanterre et membres du laboratoire MéMo
(Centre d’histoire des sociétés Médiévales et Modernes)
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Les propositions de communication sont à envoyer à l’adresse suivante :
ecrire.je.memo.2021@gmail.com avant le 1er octobre 2020.