Le colloque se tiendra à Toulouse Jean-Jaurès du 17 au 19 septembre 2020, sous le patronage de la Société d'Etudes du XVIIe siècle et de l'Université.
Les propositions de communication sont acceptées jusqu'à fin décembre 2019, et à adresser à florent.libralatlive.fr (remplacer at par @), sous la forme d'un titre et d'un synopsis d'une longueur maximale de 800 caractères, espaces compris.
1. Argumentaire
Ce colloque a pour objet de comprendre pourquoi, des derniers Valois à la fin du règne de Louis XV, c’est-à-dire de la réception du Concile de Trente au déclin de la monarchie absolue, les Lettres, et en mode mineur les autres arts, accordent une si grande place aux références et dispositifs issus de l’optique (perspectiva naturalis et perspectiva artificialis, optique proprement dite et technique perspective).
Plusieurs colloques et études ont cherché les raisons de l’utilisation de l’optique dans tel ou tel domaine littéraire. Dès 1965, l’optique des mémorialistes est abordée par Yves Coirault, et plus tard celle de l’éloquence par Marc Fumaroli et son école (1980). Entre 1968 et 2009, les études cartésiennes et pascaliennes saisissent l’entrecroisement entre science de la vision, perspective et philosophie (Michel Serres en 1968, Jean-Luc Marion en 1981, Jean Mesnard en 1995, Jean-Vincent Blanchard en 2005, Édouard Mehl en 2009). En 2003, l’optique des moralistes fait l’objet d’un colloque, tandis que les travaux sur la rhétorique sacrée et la peinture, notamment autour du motif du Dieu caché, s’approprient la notion en 2000, 2005 et 2016.
À partir de 1993, des synthèses ont pris la suite de ces travaux innovants. L’œil surpris de Françoise Siguret, et en 1997 le recueil collectif de Christian Biet et Vincent Jullien, Le siècle de la lumière ont opéré une première synthèse sur le sujet, englobant notamment le cartésianisme, le politique, la perspective et le théâtre. Ce bilan fut actualisé en 2013 par Sylvaine Guyot et Tom Conley dans le recueil L’œil classique, qui étend ses interrogations au domaine galant et aux prémices de la pensée des Lumières. Des travaux d’ensemble comparables ont été menés sur la littérature élisabéthaine (1981 et 1999), le domaine espagnol (2015) ou italien (2005).
Ces différentes recherches ont révélé que l’optique, présente sous forme de références savantes, permettait de rénover l’image du cosmos et, simultanément, de métaphoriser à peu près tous les domaines de la connaissance et de la culture humaines ; plus fondamentalement, l’optique se mue en dispositif, les Lettres devenant, à l’image des points de vue, des anamorphoses, des télescopes et des miroirs décrits par cette science et les techniques qui lui sont associées, un moyen de voir le monde autrement – une hétéroscopie en quelque sorte.
L’héritage de plus de cinquante années de recherche impose donc, par l’extension et le tuilage de ces nombreux travaux, d’envisager aujourd’hui une appréhension globale, trans-générique, du paradigme optique dans les Lettres. Au-delà d’une réflexion fondée sur la partition des genres (l’optique de la poésie, celle du théâtre…), il s’agirait de réfléchir, dans le cadre du colloque proposé, aux usages de la science optique par les gens de lettres, les savants et les artistes, ainsi qu’à la manière dont ces usages peuvent être subvertis ou détournés.
Deux faits majeurs frappent en effet l’observateur. 1/ L’optique peut aider les Lettres à enchanter le monde, qu’il s’agisse de représenter de manière idéalisée le monarque comme un roi-soleil (Ménestier), Dieu comme un « soleil caché » (Hopil), d’offrir un point de vue autour duquel s’ordonne le réel (anamorphoses de Pascal et de Bossuet), ou encore de mettre en évidence la beauté déroutante du cosmos dans les récits de voyage céleste qui prennent le relais des visions télescopiques dans la fiction (de Kepler à Cyrano de Bergerac). 2/ Face à ce que l’on pourrait appeler une optique des enchantements, cette science pourfend les illusions représentatives : ainsi en va-t-il de l’optique du roi noir machiavélien (au théâtre), du prisme des faits révélateurs (chez les mémorialistes) qui révèle les arcana regni au temps de l’absolutisme, des fausses clartés de l’amour-propre dénoncées par les moralistes, de l’illuminisme condamné dans le monde religieux, de la critique rationaliste de la superstition et du préjugé, ou encore de l’interrogation spirituelle ou philosophique sur les clartés trompeuses du sensible.
On cherchera donc à comprendre l’utilité et la fécondité réelles, pour les Lettres, de l’usage de l’optique, ainsi définie comme une science de la représentation tantôt idéalisée, tantôt difficile ou critique, qui produit même, à terme, une crise radicale de toute forme de représentation en rejetant ses objets dans l’infigurable (à l’image des deux infinis pascaliens, qui font écho aux limites de la lunette et du microscope).
L’hypothèse de travail utile pour penser cette ambivalence consisterait à supposer que les Lettres tentent de créer, par la réappropriation de l’optique, une forme de représentation critique qui serait en même temps une herméneutique du réel, faisant entrer la critique de l’image du monde à l’intérieur de cette image même.
Axes de travail
On interrogera les Lettres, prises comme un tout, dans leur fonction consistant à représenter et à interroger trois invisibles majeurs qui préoccupent les écrivains :
- l’invisible de Dieu dans le domaine théologique et spirituel :
L’optique conçue dans son rapport avec le sacré, la religion, la spiritualité et la mystique (dans les traités théologiques, le sermon, les lettres, les poèmes, les mémoires et biographies spirituelles…), autour notamment du paradoxe d’une divinité dotée d’une image ambivalente, tantôt visible et lumineuse, tantôt invisible et obscure, que cette image soit véhiculée dans le but de traduire ou de comprendre une expérience intérieure, d’exprimer ou d’exposer des concepts théologiques, de prendre parti dans une controverse…
La contrepartie libertine et critique d’une telle perspective, notamment dans le cadre d’une poétique de la matière, d’un jeu sur la sensation et l’illusion…
- l’invisible de la nature du pouvoir dans l’ordre politique :
La monarchie absolue dans une tension entre la mystique solaire de la royauté et le secret du mécanisme ou de la fondation du pouvoir, notamment dans l’orbe des théories machiavéliennes et des considérations sur les coups d’État (tragédies, mémoires, éloquence publique, mazarinades…).
- l’invisible de la nature des choses dans le domaine scientifique et philosophique :
L’optique en rapport avec la connaissance de la réalité matérielle, de l’atome à l’étoile (récits de voyages célestes, dialogues, poésie scientifique), notamment à travers la dimension poétique du discours scientifique et philosophique qui extrait de l’optique des analogies pour les transposer dans d’autres domaines, par exemple la compréhension de la cosmologie ou du fonctionnement de l’esprit, etc.
Bien évidemment, les communications opérant des liens entre ces trois domaines sont aussi les bienvenues. D’un point de vue géographique et linguistique, outre le domaine français et francophone bien évidemment, une place sera accordée aux communications traitant des échanges transalpins, les penseurs italiens ayant fourni dans les domaines de l’optique et des techniques associées (comme la perspective et la catoptrique, l’observation astronomique) une profonde matière à réflexion, tout autant qu’ils ont réfléchi aux application de l’optique, en un sens métaphorique, du pétrarquisme au platonisme ficinien, des prédicateurs de la Contre-Réforme à Marino, du théâtre aux théoriciens du politique. On ne s’interdira pas non plus par principe des incursions dans les espaces régionaux ou d’autres pays européens (en particulier dans le domaine languedocien, avec des figures comme Pierre-Jean Fabre, médecin paracelsien, Emmanuel Maignan, inventeur et artiste, professeur de théologie et de philosophie, Louis-Bertrand Castel, inventeur du clavecin oculaire).
À titre d’élargissement, un espace pourrait également être consacré à des communications étendant le champ de la réflexion aux domaines de l’histoire de l’art et de la musique ; dans ce dernier domaine, on valorisera les réflexions et les expérimentations qui font un parallèle entre optique et musique, comme par exemple chez Mersenne et Castel
2. Bibliographie
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