Colloque inaugural du Pôle « Europe du xviie siècle »
« La gloire dans l’Europe du XVIIe siècle »
26-27 novembre 2025
Paris, Sorbonne Université
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Argumentaire
Monsieur, pour conserver ma gloire et mon estime
Désobéir un peu n’est pas un si grand crime
Corneille, Le Cid, v. 367-368.
L’aspiration à la gloire parcourt toute l’époque moderne. Elle domine souverainement aussi bien les décennies du premier xviie que celles du règne de Louis XIV. Elle a donné lieu, voici vingt-cinq ans, à des publications devenues classiques. Depuis, et malgré quelques études ponctuelles, le dossier semble avoir été délaissé. Le but de ce colloque est de le parcourir à nouveau ; sa méthode, que chacune des disciplines constitutives du Pôle « Europe du xviie siècle » s’en saisisse.
Si la gloire domine les esprits, les cœurs et les discours du xviie siècle, c’est justement qu’elle désigne ce qu’il y a de plus haut. Elle reste liée à l’être même de Dieu et à la béatitude des élus. C’est un des sens que lui donne Antoine Furetière, dans son Dictionnaire universel (1690). La gloire est la « Majesté de Dieu, la vue de sa puissance, de sa grandeur infinie ; l’éclat, et la splendeur qui marque cette puissance, et cette grandeur infinie ». La gloire est donnée par Dieu à ceux qui l’acquièrent par leurs mérites, mais relève d’abord de la fidélité de Dieu à sa parole. La gloire suit ceux qui ne cherchent que la vertu. L’héroïsme chrétien, c’est-à-dire la sainteté, est au cœur de la grande réforme post-tridentine de la canonisation qu’ordonne le pape Urbain VIII. Les chemins vers la gloire des autels sont mieux balisés. Définir avec précision qui est, de façon sûre, participant de la gloire de Dieu, devient plus que jamais la prérogative d’une papauté sortie renforcée de la Réforme catholique.
Rome pense avant tout la gloire dans les termes du kâbôd, כָּבוֹד, de la Bible hébraïque. Mais d’autres strates de signification, d’autres traditions permettent également de penser la notion de « gloire » à l’époque moderne et d’en retracer la généalogie, comme le κλέος épique des Grecs et la gloria latine, centrale notamment dans la philosophie stoïcienne. Ce qui est vrai de la gloire des élus le semble donc a fortiori des gloires de ce monde. Ainsi, selon Richelet, la gloire est d’abord « l’honneur acquis par de belles actions » (Dictionnaire, 1680). Que recouvre au juste cette omniprésente gloire du xviie siècle ? Les éclats de la gloire ne doivent pas aveugler le chercheur. Au-delà des différentes strates sur lesquelles s’édifie la notion, le périmètre propre de la gloire demande à être bien tracé et un travail de distinction avec les parasynonymes aide à le cerner. La gloire renvoie sans doute toujours à une forme de transcendance, celle du divin ou de la postérité, à la différence de la renommée (fama), de l’honneur, et des autres notions proches. Cette transcendance, dans le temps ou l’éternité, peut n’entretenir qu’un rapport analogique ténu avec la gloire de Dieu proprement dite. Ce qui est vrai pour la France vaut-il pour le reste de l’Europe ? Toutes les langues européennes distinguent-elles également, et selon les mêmes partages lexicaux, sémantiques ou conceptuels, la « gloire », « la réputation », et « l’honneur » ? Pourquoi rendre « gloire » en anglais paraît-il si difficile ? Quel est le sens de la gloria macaronique qu’affectionnent certains textes allemands de l’époque ? Un premier travail sur la notion elle-même s’imposera aux participantes et aux participants ; de ces réflexions communes, toutes disciplines et toutes langues confondues, le colloque attend des nuances importantes.
Penser la gloire à l’échelle de l’Europe est essentiel, car elle est indissociable de la formation des États modernes. Ce mouvement politique de fond constitue le premier axe du Pôle « Europe du xviie siècle ». La recherche de la gloire du nom passe de plus en plus par celle de la gloire du monarque. C’est le schéma louis-quatorzien traditionnel. Il mérite d’être amendé pour la France, et repensé à l’échelle de l’Europe. La notion de la gloire fournit à cet égard un excellent révélateur. Où se trouve la gloire dans les Républiques, dans les monarchies dualistes, dans les monarchies absolues en périodes de régence, dans le Commonwealth de Cromwell, là où les assemblées partagent avec le souverain l’autorité politique ? Comment s’exprime la gloire souveraine, quand le pouvoir est exercé par un « principal ministre », comme Richelieu et Mazarin, ou un valido, comme Olivarès ? Où réside la gloire quand une souveraine, telle Christine de Suède, choisit d’abdiquer ? Dans chacune de ces configurations politiques, la gloire est au centre d’un discours politique, littéraire, artistique, qui mérite attention.
Ce discours n’est-il que paroles et représentations ? Forme-t-il au contraire un véritable levier d’action politique ? De qui, pour qui parle-t-il ? Le discours de la gloire ne finirait-il pas par être à la simple gloire du discours ? Comment résoudre la tension politique entre la gloire de l’individu et celle de l’État en formation ? Telle est bien la question posée par les héros des tragédies de Corneille. Tandis que l’ambition suppose la poursuite d’intérêts personnels, la gloire est associée au service du roi et de l’État. Mais les différents corps avaient aussi leur propre gloire, malgré le poids croissant de l’État. La gloire change-t-elle donc au xviie siècle ? Furetière relève en effet que la gloire « se dit par emprunt, et par participation, de l’honneur mondain, de la louange et de l’approbation qu’on donne au mérite. » Et d’insister sur sa dimension collective : « La gloire est quelque chose hors de nous, et qui n’en dépend pas absolument ». Elle est effectivement souvent associée à la reconnaissance, au prestige, à l’estime tant sur le plan personnel que collectif. Elle surpasse alors l’honneur, participe à l’héroïsation et représente une forme de notoriété plus étendue et éclatante. En cela, elle est le propre des conditions les plus élevées, des hommes et des femmes illustres. Le xviie siècle est une époque où les exploits militaires, les réalisations artistiques et les contributions intellectuelles sont célébrés. Les rois et les nobles cherchent à accroître leur gloire à travers des guerres victorieuses, des constructions grandioses et le patronage des arts. Mars et Minerve s’unissent pour servir cette économie politique de la gloire, dont on pourra interroger l’évolution au cours du xviie siècle en Europe.
Question politique, la gloire devient aussi un problème philosophique et moral avec l’émergence du sujet qui caractérise le xviie siècle. Comme le suggère Furetière, la gloire fait intervenir la renommée, l’opinion des gens de bien et leur accord. Elle suppose des témoins et un jugement extérieur, donc la visibilité de la personne glorifiée. L’interrogation inquiète de Montaigne concernant la gloire et sa « montre » (« Je ne me soucie pas tant quel je sois chez autrui, comme je me soucie quel je sois en moi-même », Essais, II, 16) résonne chez bien des écrivains, des moralistes, et des philosophes du xviie siècle, comme Guez de Balzac, Descartes, Pascal, Hobbes ou Leibniz. En 1671, Madeleine de Scudéry reçoit ainsi le premier prix d’éloquence de l’Académie française, institué par Guez de Balzac, en composant un discours « De la louange et de la gloire », dans lequel elle soutient que « la gloire est le ressort le plus universel du monde, quoique le plus inconnu. Car ceux-là mêmes qu’elle agite sans cesse, ignorent ce qu’il faut précisément appeler gloire ; et bien plus encore, ce qu’il faut faire pour la mériter ». L’éthique de la gloire est aussi interrogée par Descartes, qui, dans Les Passions de l’âme, distingue la gloire de la satisfaction intérieure : « Ce que j’appelle ici du nom de gloire est une espèce de joie fondée sur l’amour qu’on a pour soi-même, et qui vient de l’opinion ou de l’espérance qu’on a d’être loué par quelques autres », tandis que la satisfaction intérieure « vient de l’opinion qu’on a d’avoir fait quelque bonne action ». Du point de vue du sujet, la recherche de la gloire n’est-elle autre chose qu’un nom donné à l’intérêt et à l’amour-propre ? Recherche-t-on la vraie gloire, ou la simple réputation ? C’est à la vanité que le Pascal des Pensées associe « la douceur de la gloire [qui] est si grande qu’à quelque objet qu’on l’attache, même à la mort, on l’aime ». Reconnaissance conférée par autrui ou estime de soi, il y a donc deux pôles autour desquels s’organisent les définitions de la gloire. Ils dissimulent cependant un tiraillement moral plus général, une ambivalence soigneusement explorée par les hommes et les femmes de lettres, et plus généralement par tous les artistes du xviie siècle, concernés au premier chef par la question de la gloire littéraire ou artistique dont il conviendrait d’interroger les formes d’évaluation, de reconnaissance et d’autonomisation distinctives pour mettre en lumière selon une approche interdisciplinaire les rapports entre le sujet et la gloire, tels que les pense le xviie siècle.
L’éclat de la gloire suppose sinon impose une reconnaissance collective qui suscite souvent la méfiance, voire la résistance ou la dissidence, troisième angle par lequel le colloque entend aborder la question de la gloire dans l’Europe du xviie siècle. La notion de gloire, comme concept théologique, moral ou politique, se saisit aussi, de façon négative, à travers les discours polémiques ou satiriques qui en contestent la légitimité, voire s’efforcent de la réduire à néant si elle semble indue. Nombre d’écrits, comme ceux de La Bruyère, dans Les Caractères, vilipendent cette « espèce d’animaux glorieux et superbes » que sont les hommes. À l’exaltation de la vaine gloire humaine répond la peinture de vanité. Nombre de pamphlets, publiés notamment à partir de 1672 dans les Provinces-Unies et plus généralement dans le nord de l’Europe durant la guerre de Hollande, visent à ravaler Louis XIV au rang de simple particulier ivre de pouvoir, soumis à un désir de gloire aussi risible que dangereux – reprenant ainsi un motif cher à la propagande antiespagnole de la France de la première moitié du siècle (voir par exemple les gravures de Romeyn de Hooghe). En cela, le discours de la gloire crée son propre contre-discours, qui détourne les mythes royaux présents dans toute l’Europe, avec des thèmes récurrents, bibliques ou antiques, qui justifient le pouvoir et ses desseins politiques impériaux (la fameuse « monarchie universelle » reprochée à la Maison d’Autriche puis à Louis XIV). Nombre d’œuvres dénoncent alors l’orgueil et l’illusion dans lesquels se bercent les créatures, soulignant ainsi que la recherche de la gloire et de l’admiration peut mener à des comportements superficiels, éphémères et parfois délétères. Thème cher aux moralistes, à la propagande politique, aux représentations artistiques, la dénonciation de la gloire est donc un motif efficace de la pensée européenne du siècle. Comment circule-t-il ? Quels réseaux de savants et d’artistes reprennent à leur compte ces dénonciations ? Dans quelle mesure ces critiques de la gloire ont-elles contribué à l’affaiblissement de cet idéal au xviie siècle ? Toutes ces questions devront être abordées dans ce colloque.
Exaltée, désirée, dénigrée, la gloire est donc fortement présente dans les préoccupations des hommes et des femmes du xviie siècle. Elle permet de formuler des questions essentielles concernant le salut éternel de l’homme et, ici-bas, sa place dans le monde et la société. Le colloque se fixe pour tâche de dégager le contenu de la notion, et d’en voir la place dans l’affirmation de l’État, l’émergence du sujet, et la circulation des idées, des hommes et des images – soit les trois axes du Pôle « Europe du xviie siècle » dont ce colloque pluridisciplinaire permettra d’inaugurer les travaux.
Les propositions de communication sont à envoyer avant le 20 juin 2025 à Delphine Amstutz (Delphine.Amstutz@sorbonne-universite.fr), Alice Hennetier (hennetier.alice@gmail.com), Cécile Leduc (cecile.leduc2@gmail.com) et Nicolas Richard (nicolas.richard10@seznam.cz).
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