Colloque international « Racine et ses actrices »
Auditorium du château de Versailles, 20-21 novembre 2025
Ce colloque est organisé par l’université Paris-Sorbonne et l’université de Rouen en collaboration avec le Centre de recherche du château de Versailles, le Centre international Jean Racine et la société des Amis de Port-Royal.
« Racine et ses actrices » : en 2024-2025, l’expression a bien sûr une valeur délibérément provocante. Le colloque n’a pas pour but de réduire les comédiennes de Racine à de simples possessions, propriétés d’un dramaturge Pygmalion qui les contrôlerait et les modèlerait à son gré, jusqu’au-delà du tombeau. C’est au contraire l’agentivité et la liberté des actrices raciniennes que cette manifestation se propose d’interroger, la façon dont elles se sont approprié les rôles, les ont façonnés, jusqu’à les construire en mythes littéraires. La carrière de Racine est inséparable des comédiennes qui créèrent ses grandes figures de femmes, comme la carrière des grandes tragédiennes des siècles ultérieurs est inséparable du répertoire racinien qu’elles ont ressuscité. Depuis leur création, les héroïnes imaginées par Jean Racine n’existent qu’à la faveur d’incarnations féminines qui seules en déploient l’intensité passionnelle et le verbe enchanteur, mais qui aussi les interprètent au sens le plus fort du terme, comme un musicien fait de la partition d’un maître. De Mademoiselle Du Parc et Mademoiselle Champmeslé à Sarah Bernhardt, Marie Casarès, Sylvia Montfort, Anne Delbée, ou Dominique Blanc, en passant par les Demoiselles de Saint-Cyr, c’est tout un choeur féminin courant sur quatre siècles qui a donné corps, chair, et voix au verbe tragique composé par l’enfant de Port-Royal. Sont-elles des femmes sous influence ? Bien plutôt, les actrices de Racine n’ont cessé de déterminer les conditions de réception de ses vers. Porteuses de la Parole, elles sont celles par qui advient sur scène le mystère incandescent de la poésie racinienne. C’est leur talent, leur individualité, leur mérite qui seront l’objet de nos interrogations au cours de ces deux journées.
L’enjeu du colloque sera d’interroger, à travers le possessif « ses », le degré d’appartenance, de dépendance ou au contraire d’émancipation entre un poète et celles qui l’incarnent et lui donnent voix, selon le lien bilatéral qui les unit. Racine aurait-il écrit ses pièces sans La Du Parc et La Champmeslé ? Dominique Blanc aurait elle eu la même carrière sans Phèdre ? Dans quelle mesure Racine a-t-il créé ses actrices, ou au contraire les comédiennes, au fil des siècles, contribuent-elles à le créer comme dramaturge ? Est-ce le rôle de Bérénice qui a permis à Marie Desmares de devenir La Champmeslé, ou au contraire la perfection de son jeu a-t-elle assuré le triomphe de la pièce, « succès de larmes » ? Quelle influence exerça sur le dramaturge la vision d’une Du Parc jouant Elvire et Arsinoé, au point qu’il la débaucha pour lui faire ensuite incarner Andromaque ? Comment une Mademoiselle Des Œillets passa de Sophonisbe à Hermione puis Agrippine ? Quelle signification eut pour ces comédiennes la rencontre avec Racine ? Peut-on imputer à la performance inattendue des actrices les deux versions d’Andromaque ? La vie amoureuse de Racine trouve-t-elle des échos ou non dans ses pièces ? Que sait-on finalement de la mort de la Du Parc plus de trois cents ans après ? Quelle est la part de responsabilité de Racine dans la diction prétendument chantante de la Champmeslé ? Est-ce un hasard s’il arrête sa carrière de dramaturge précisément au moment de son mariage ? Comment Racine, historiographe et père de famille, appréhenda-t-il le travail avec les jeunes actrices amateurs de Saint-Cyr et que signifie cette écriture spécifiquement pensée pour elles ?
Et à l’inverse, qu’ont apporté à l’interprétation de Racine les diverses incarnations de ses grands rôles féminins à travers les siècles ? Quelle incidence le théâtre de Racine eut-il sur les modes de travail et de jeu des comédiennes au XVIIe et dans les siècles suivants ? Existe-t-il une spécificité de la diction racinienne, en particulier féminine ? Dans quelle mesure les grands rôles tragiques de Racine déterminèrent-ils, à l’exemple des rôles comiques de Molière, la structuration des emplois dramatiques féminins au XVIIIe siècle ? Comment Racine a-t-il fait ou défait des carrières de femmes depuis le XVIIe siècle ? Est-ce de la faute de Racine si Adrienne Lecouvreur ne put jamais jouer de comédie comme elle l’aurait souhaité ? Que signifiait ce répertoire pour une comédienne hier et que signifie-t-il encore aujourd’hui ? Comment certains rôles oubliés furent redécouverts à la faveur de la volonté d’une actrice ? Comment toutes ces femmes se sont-elles inspirées les unes les autres ?...
Autant de questions que ce colloque se propose de poser et auxquelles il espère apporter des éléments de réponse. Il s’agira d’éclairer cette relation entre le verbe d’un poète et les femmes qui lui prêtèrent voix et corps.
Au prisme de diverses perspectives herméneutiques (historique, biographique, psychanalytique, dramaturgique, d’études de genre, politique, d’études théâtrales, etc.) :
il s’agira de faire le point sur ce que l’on sait exactement de ces comédiennes, de leurs carrières et de leurs rapports avec Racine et son travail de dramaturge, afin entre autres de se donner les moyens d’évaluer la pertinence des lectures biographiques des pièces raciniennes. Dans la lignée des travaux de Ch. Mauron, on ne s’interdira pas d’interroger à nouveau frais la potentielle fantasmagorie racinienne sur des actrices qu’il avait vu jouer, ou imaginé dans de nouveaux rôles et pu aimer ;
on pourra se demander si les rôles créés puis joués par une même comédienne, dans la mesure où on peut en établir la liste, ont des points communs. On pourra se demander s’ils peuvent ou non témoigner de la construction d’un imaginaire commun, d’effets de réseaux, au sein du répertoire racinien lui-même d’abord, mais aussi entre dramaturges ayant connu et fait jouer la même comédienne, ainsi entre Corneille et Racine, entre Molière et Racine, comme entre des auteurs moins connus et Racine.
la réflexion pourra également se translater dans les siècles suivants, pour réfléchir aux effets induits par la pratique du « répertoire », et également se décliner du point de vue de la réception. On pourra étudier les diverses interprétations des personnages féminins raciniens proposées au cours des siècles, s’interroger sur l’importance et l’influence du répertoire racinien dans la structuration des carrières féminines et des pratiques théâtrales depuis le XVIIe. On pourra à cette occasion valoriser l’apport des bases de données numériques sur la pratique des spectacles depuis l’Ancien Régime (CESAR, Archives numériques de la Comédie française, etc.).
Comité d’organisation
Organisateurs : Constance Cagnat (Paris-Sorbonne, CELLF 16-18) et Tony Gheeraert (université de Rouen Normandie, CEREdI UR 3229)
Comité organisateur : Servane L’Hopital, Victoire Malenfer, Caroline Labrune
Comité scientifique : Gilles Declercq, Laurence Plazenet, Jean Rohou, Philippe Sellier, Jean-Philippe Grosperrin, Laurent Thirouin, Bénédicte Louvat, Céline Candiard, Julia Gros de Gasquet
Organismes partenaires : CELLF 16-18, CÉRÉdI (UR 3229), Centre de recherche du château de Versailles, Centre international Jean Racine, Société des Amis de Port-Royal
Modalités de soumission
Ce colloque est proposé dans le cadre d’un programme d’études raciniennes (Bérénice en 2020, Bajazet et Mithridate en 2022, « Port-Royal et le théâtre » en 2023, Iphigénie en 2024, « Racine et Shakespeare » en 2026) dont les activités sont présentées sur le carnet Hypothèses du programme.
Les propositions de communication (environ 300 mots) devront parvenir, accompagnées d’un bref CV et avant le 15 février 2025 à l’adresse mail : anniversaires_raciniens@googlegroups.com