1er-3 avril 2020
Université Littoral Côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer
Comité organisateur : Jacqueline Bel, Jean Devaux, Xavier Escudero, Carl Vetters (UR H.L.L.I., Université Littoral Côte d’Opale) Ramón Pérez Parejo, José Soto Vázquez (L.I.J., Université de Extremadura)
Les genres du conte et du récit bref, par leur densité et leur intensité, font appel de façon récurrente – naturelle ? – à la cruauté et à la violence, lesquelles adoptent de multiples écritures, formes et visages.
Si l’étymologie de la cruauté souligne le sang versé – cruor en latin ou crudelis « qui aime le sang » –, n’y aurait-il donc qu’une seule façon de l’exercer (par le sang versé) dans les contes populaires et littéraires ou les récits brefs ? On associe ainsi généralement la cruauté à l’action de faire souffrir physiquement ou mentalement et on peut, donc, y adjoindre la barbarie, la dureté, la méchanceté, la sauvagerie, l’atrocité, la tyrannie, le masochisme et le sadisme, dans les rapports sociaux ou dans l’éducation. La cruauté donne souvent lieu, dans l’imaginaire, au spectacle violent de la souffrance. La cruauté révèle la férocité des hommes, de leurs travers, de leurs secrets profonds refaisant surface. D’ailleurs, les histoires sur la folie telles que, par exemple, Le Horla de Guy de Maupassant ou Sangre sobre el barro de Antonio de Hoyos y Vinent ou dans plusieurs contes comme ceux des frères Grimm, placent souvent le lecteur dans un monde où la cruauté est reine parce qu’associée à Eros (on pourrait ainsi parler de cruauté érotique ou sexuelle dans le sadisme voire la nécrophilie). Le champ de la cruauté est vaste.
La violence – du latin vis, signifiant force – s’exerce aussi par la force physique ou les actes mais elle peut être également cachée, plus sournoise. La violence peut être contrainte (par l’intimidation ou par la censure, par exemple), être le fruit d’une colère, trouvant des voies d’expression multiples, de l’agression à l’attentat, du plus fort sur le plus faible, et fait appel à des sentiments exacerbés (la passion peut être violente). La violence peut aussi se traduire par l’intensité d’un regard, d’un besoin, par l’impétuosité d’un sentiment ou par celle, simplement, des éléments naturels. La violence et la cruauté sont physiques (torture, supplice, métamorphoses, par exemple) et morales (perfidie, indifférence, orgueil, harcèlement, tromperie, par exemple) et l’homme, la société, le destin voire le monde animal se partagent cet exercice de la violence et de la cruauté. Ainsi, par exemple, dans La Belle au bois dormant, des Contes de ma Mère l’Oye (1697) de Charles Perrault, l’histoire d’un jeune prince vaillant et amoureux délivrant la Princesse Aurore de son sortilège ne s’achève pas avec le réveil de cette dernière et le baiser de son prétendant. En effet, la mère du prince, qui est une ogresse, libère dans le conte toute sa charge de cruauté (« bien contente de sa cruauté ») en souhaitant manger la Princesse et ses deux enfants. Cependant, sa cruauté sera dupée par la bonté du Maître d’Hôtel qui détourne la violence de l’acte de tuer et de préparer des mets à partir des corps. Si la cruauté est dupée (on se rappelle encore Barbe Bleue ou Petit Poucet), elle peut aussi être triomphante comme, par exemple, dans Le Petit Chaperon Rouge où le loup finit par dévorer la petite fille venue apporter une galette et du beurre à sa grand-mère.
Par ailleurs, si la violence répond à la violence dans certains contes ou récits brefs ‒dans Les fées de Perrault, par exemple, le châtiment de l’orgueil et de la jalousie se paie au prix d’une mort solitaire dans un bois ‒, la violence d’une situation trouve aussi sa solution dans le pardon et l’amendement, éloignant l’accomplissement de la cruauté (par exemple, la maltraitance dans Cendrillon, la désobéissance dans Der Struwwelpeter ou dans le conte populaire d’Estrémadure « La asadura »). La cruauté peut aussi avoir un effet libérateur et signifier la victoire de la liberté de l’action ou de la pensée.
La cruauté et la violence peuvent être exercées par les hommes voire les animaux ou des créatures fantastiques mais elles peuvent aussi découler de la société (par son excès d’individualisme, sa course effrénée à la spéculation, au progrès technique, technologique broyant ou dévorant l’individu) dont les artistes et écrivains sont les victimes. Par exemple, dans les Contes cruels (1883) de Villiers de l’Isle-Adam, la cruauté se fonde sur la violence même de la vie qui piétine l’idéal et bafoue la noblesse des sentiments. Villiers de l’Isle-Adam, touché par le malheur et l’échec, a souffert dans sa vie de la méprise sociale et éditoriale l’orientant vers la satire et l’ironie, dans le sillage de Gautier, Poe ou Baudelaire mais aussi de Swift et de Daumier.
On pourra ainsi s’intéresser aux diverses et multiples manifestations et formes de la cruauté et de la violence dans les contes populaires, littéraires, musicaux, cinématographiques, scéniques et les récits brefs que ce soit au niveau du personnage, des figures ou des créatures telles que le diable, l’ogre ou l’ogresse, le barbare, le tyran, le monstre, le vampire, le bourreau, le forcené, au niveau des situations (par exemple, l’ogresse dans Le Petit Poucet découvrant ses sept filles égorgées « et nageant dans leur sang » ou la terreur dans les contes fantastiques), dans le langage (l’ironie serait-elle un recours puissant dans certains contes ou récits brefs pour traduire la cruauté, le silence ou la parodie ?), dans les sentiments (la haine ?).
Ainsi : Dans le conte et le récit bref, comment la cruauté et la violence se manifestent-elles et sontelles mises en œuvre ? Quels sont les liens entre les deux ? La cruauté et la violence accompagneraient-elles in fine, inéluctablement et fatalement, l’univers et l’écriture des contes, qu’ils soient populaires ou littéraires, ou des récifs brefs ? Pourquoi la cruauté et la violence s’associent-elles si facilement dans l’univers et l’écriture des contes et des récifs brefs ? Adoptent-elles des degrés divers en fonction du lecteur, du pays, de la culture voire de l’époque ? Quel(s) rôle(s), quelles visées (cathartique, éducative, esthétique) ont-elles d’ailleurs ? - Si la cruauté et la violence s’écrivent et se lisent, la peinture et l’illustration – cette grande alliée des contes écrits ou retranscrits – viennent leur donner une image (par exemple, les gravures de Gustave Doré pour les Contes de ma Mère l’Oye ou ceux de Francisco de Goya qui plonge volontiers son pinceau ou son burin dans l’univers fantastique ou merveilleux de la fable et du conte). Ainsi, comment montrer la cruauté et la violence des contes et des récits brefs ? De même, comment l’adaptation des contes à l’écran ou sur scène ou leur transcription musicale font-elles voir et entendre la cruauté et la violence de leurs univers ? Y aurait-il un cadre ou un code esthétique propre à la représentation et à l’interprétation de la cruauté et de la violence issues des contes ou des récits brefs, une iconographie de la violence et de la cruauté des contes ? - Comment la cruauté et la violence apparaissent-elles dans des récits racontés, écrits ou lus par et pour les enfants ? Doit-on les adapter, les atténuer, les cacher, les censurer ou, au contraire, les montrer, les expliquer ? De quelles façons ? Quelles stratégies peuvent être déployées pour contrer ou s’opposer à la cruauté et à la violence ? - La cruauté et la violence peuvent-elles avoir une portée didactique dans l’enseignement ? Peut-on parler de « pédagogie de la cruauté » dans et à partir du conte et du récit bref ? Autant de questions – dont la liste est loin d’être exhaustive – auxquelles ce colloque international et interdisciplinaire invitera ses participants et communicants à tenter d’y répondre. Toutes les approches que ce soit à partir du texte, de l’image ou du son ainsi que toutes les périodes, les aires culturelles et géographiques sont privilégiées.
٭ La proposition de communication d’une dizaine de lignes accompagnée d’un bref CV est à envoyer jusqu’au 15 septembre 2019 à : jacqueline.bel@univ-littoral.fr jean.devaux@univ-littoral.fr xavier.escudero@univ-littoral.fr carl.vetters@univ-littoral.fr Les Actes du colloque seront publiés aux Cahiers du Littoral (Shaker Verlag).