Colloque "La stigmatisation : une lecture interdisciplinaire"

Centre cognitif des Etudes et des Recherches El Madar en collaboration avec l’Université de Sfax et l’Université de Gabès 

Sousse, les 8 et 9 février 2019

Avec la coopération de l’Université Félix Houphouët Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire), le Groupe de Recherches sémiotiques de Côte d’Ivoire (GRS-CI), le Laboratoire « Approches du Discours » (LAD), Le laboratoire de Recherches : Études Maghrébines, Francophones, Comparées et Médiation Culturelle et l’Unité de recherche Etat, Culture et Mutations de la société (ECUMUS).

 

PRÉSENTATION

Phénomène social par excellence, la stigmatisation repose sur un ensemble de stratégies de discrimination d’un individu ou d’un sous-groupe d’individus par un groupe dominant ou majoritaire dans une société bien déterminée. Traditionnellement fréquente dans la médecine et plus particulièrement dans la psychiatrie, la stigmatisation touche aussi bien les malades atteints de troubles psychiques que leurs proches et même les psychiatres et les soignants qui les prennent en charge.

Étymologiquement, la stigmatisation est l’action physique de « marquer de manière définitive le corps de quelqu’un afin de lui donner une cicatrice distinctive » (Le Petit Robert). Il en va ainsi des stigmates résultant de la crucifixion de Jésus Christ comme de l’opération de marquer les criminels au fer rouge en France sous l’Ancien Régime. D’où la mise en écart d’un individu dont le comportement déroge aux normes d’une société bien déterminée. Irving Goffman identifie dans cette perspective trois formes de stigmatisation : la première touche les personnes présentant une déformation physique remarquable (cicatrices, infirmités physiques, obésité ou au contraire anorexie…), la deuxième concerne plutôt les personnes manifestant des différences de type comportemental (troubles mentaux, toxicomanie, alcoolisme, homosexualité masculine ou féminine, délinquance…), la troisième trouve sa source dans les différences ethniques, idéologiques, culturelles, religieuses, sociétales…

D’une manière générale, le stigma est considéré comme un attribut profondément disqualifiant pour l’individu qui le porte dans la mesure où il le fait passer du statut d’une personne « complète » et « normale » au statut d’une personne « incomplète » et « anormale » pour le réduire enfin à un label négatif (un toxicomane, un criminel, un obèse, un homosexuel, un noir…). Mais, y a-t-il en fin de compte une norme sociale qui soit universellement admise par toutes les communautés humaines ?

Il convient de remarquer tout de même que si le stigmate physique ou moral, considéré comme une déviance par rapport à la norme, conduit à rejeter l’individu stigmatisé, lui-même peut être sujet au phénomène de l’auto-stigmatisation s’il se rend compte du fait qu’il est indésirable et dégradé socialement. Mieux encore, la situation peut se renverser dans la mesure où le stigmatisé peut devenir à son tour stigmatisant par rapport à ceux qui l’ont déjà stigmatisé.

Tel est par exemple le cas de Franz Fanon, psychiatre martiniquais, arrivant en France métropolitaine, face à ses patients, qui sont par essence stigmatisés en raison de leurs troubles psychiques, ce qui ne les empêche pas pour autant d’être « stigmatisants » à l’égard de la peau noire de leur médecin comme tous les autres Français de peau blanche. Le schéma devient plus complexe lorsque Fanon, lui-même, avoue dans Peaux noires, masques blancs, que de stigmatisé qu’il était au départ, son statut de psychiatre noir soignant des malades blancs, lui confère une certaine supériorité par rapport à ses vis-à-vis et l’amène parfois à prendre une attitude « stigmatisante » dans ce jeu symétrique entre individus de couleurs différentes.

D’où la présence de la dialectique de l’agent et du patient au niveau des rapports complexes entre stigmatisation et auto-stigmatisation. Un autre écrivain martiniquais, Aimé Césaire refuse de succomber à l’auto-stigmatisation et réplique par l’offensive à la stigmatisation dont sont victimes les Noirs pour fonder le mouvement de la négritude qui refuse l’intériorisation de ce que Howard Saul Becker appelle l’étiquette dans le cadre de sa théorie de l’étiquetage.

En littérature, la stigmatisation trouve sa meilleure expression dans la question de la marginalité dans la mesure où les auteurs qui ne reproduisent pas ou qui refusent délibérément de se conformer à l’idéal littéraire de leur temps sont souvent stigmatisés et marginalisés par l’institution officielle. Il en va ainsi des auteurs libertins qu’on trouve pratiquement dans toutes les sociétés et dans toutes les cultures du fait de leur écart par rapport aux règles normatives, religieuses ou sociales. Issu du latin « libertinus » au sens d’« esclave affranchi », le mot « libertin » a en effet fait son entrée dans la langue française au début du XVI è siècle (1525) au sens d’homme puis d’auteur affranchi du poids de la religion et des coutumes.

Cela dit, le phénomène du libertinage n’est pas récent puisque déjà à l’époque romaine Épicure est taxé de libertinage en raison de son matérialisme. De même, dans l’Italie de la Renaissance, Machiavel auteur du livre Le Prince, qui est paradoxalement une référence incontournable pour tous les politiciens du monde, est considéré comme libertin, et ce pour son pragmatisme politique. D’ailleurs, certains auteurs libertins italiens à l’instar de Vanino Vanini et de Giordano Bruno n’ont pas été seulement stigmatisés par les autorités religieuses de leur temps mais également condamnés à l’autodafé et brûlés vifs sur les places publiques pour dissuader leurs contemporains de porter les stigmates tant redoutés de « penseur libertin », de « libre penseur » ou encore d’« esprit fort ». Il suffit de lire à ce propos Surveiller et Punir où Michel Foucault retrace l’histoire de la torture à l’époque classique pour se rendre compte de l’horreur des supplices inhumains que l’Église catholique et l’Inquisition ont exercés sur les auteurs libertins et sur les « hérétiques ».

Mais, il n’y a pas que les libertins qui furent l’objet de stigmatisation de la part des religieux fanatiques, les hommes de science tels que Galileo Galilée ont, eux aussi, payé de leur vie leurs révolutions scientifiques qui sont universellement saluées et reconnues de nos jours.  

Mais au-delà de la mouvance du libertinage moral et philosophique de l’âge classique qui fut au cœur d’un large mouvement de stigmatisation à l’instigation des autorités religieuses et à moindre degré des autorités politiques de l’époque, la Querelle des Anciens et des Modernes, qui a divisé les hommes de lettres du XVII è siècle, a donné lieu à une grande compagne de stigmatisation et de contre-stigmatisation de la part des deux parties opposées de cette controverse littéraire. En réalité, cette querelle a éclaté à l’occasion de la publication en 1687 du poème « Le Siècle de Louis le Grand » où Charles Perrault remet en cause la fonction de modèle de l’Antiquité gréco-latine sous le masque de l’éloge de la majesté et de la splendeur du règne de Louis XIV. D’où la réaction virulente de Nicolas Boileau, chef des Doctes et des Anciens, aux hardiesses de Perrault et des Modernes.

À la fin du XIX è siècle, ce sont les « poètes maudits » à l’instar de Baudelaire et du « couple » Verlaine-Rimbaud qui ont ouvert la voie à la modernité littéraire en assumant pleinement les stigmates de la malédiction sociale et esthétique en signe de provocation à l’encontre de leurs émules et de leurs exégètes. L’on pourrait multiplier à ce propos à l’infini les exemples des auteurs de différentes contrées du monde qui ont subi le sceau de la stigmatisation tantôt sous le mode de la résignation tantôt sous le mode de la réaction. Il existe, en revanche, des cas d’auteurs qui ne furent pratiquement jamais l’objet d’une quelconque stigmatisation, ce qui ne les a pas empêché de défendre la cause de certains individus ou communautés humaines stigmatisés.

Le cas le plus emblématique à ce propos est celui de Jean-Paul Sartre qui s’est engagé dans le mouvement de l’anticolonialisme pour dénoncer les abus de la France, « pays de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen » (1790), à l’égard des peuples de l’Afrique. De même, en forgeant le concept du « tiers-mondisme », Sartre s’insurge contre la nouvelle classification des pays qui est issue de la Deuxième guerre mondiale.

Actuellement, dans le contexte de la modernité et de la postmodernité, un mouvement universel de dénonciation et de lutte contre la stigmatisation dans toutes ses formes traverse les textes de lois et les constitutions de toutes les sociétés. D’ailleurs, c’est dans les programmes scolaires officiels que l’on trouve l’expression de cette tendance pour répondre à cette politique de formation des nouvelles générations à travers les fameux thèmes de « la paix », de « la tolérance »…

Cela dit, bien que ces questions ne soient pas récentes dans les cursus éducatifs des jeunes écoliers puisqu’elles datent depuis plus d’un siècle, les résultats escomptés de ces politiques d’intériorisation de l’acceptation de la différence d’autrui devraient faire l’objet d’une évaluation et d’un bilan. En effet, si l’on prend à titre d’exemple l’ampleur du problème de l’intégration des émigrés dans les pays d’accueil, qui est l’une des causes principales du phénomène mondial de la violence et du terrorisme, le succès des politiques et des mouvements de lutte contre la stigmatisation devrait être mis en cause.

En définitive, il est assez judicieux de faire l’état des lieux du phénomène séculaire de la stigmatisation dans le cadre de ce congrès. Un certain nombre d’interrogations s’impose à ce propos : Quelles sont les multiples formes de stigmatisation qui traversent l’histoire humaine ? Quels jeux de forces s’exercent entre stigmatisation, contre-stigmatisation et auto-stigmatisation ? Dans quelle mesure la critique de la stigmatisation a-t-elle contribué à la lutte contre ce phénomène ? Quelles nouvelles stratégies faut-il adopter alors pour faire face aux manifestations renouvelables de ce phénomène ?  Peut-on repenser cette question sans avoir recours à différents angles de vue et à de multiples approches dans le cadre de l’interdisciplinarité ?

 

AXES

C’est pour répondre à ces interrogations et à tant d’autres que les chercheurs de différents domaines sont conviés à réfléchir sur la stigmatisation et à enrichir le débat sur ce sujet. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques pistes de réflexion :

I.       Les formes de la stigmatisation

1.      Physique (les handicaps, les difformités, les cicatrices, l’obésité…).

2.      Ethnique (Blancs et Noirs, Arabe et Amazighs…).

3.      Sociale (les enfants des cités et des banlieues, les citadins et les ruraux, les délinquants, les fils naturels, les homosexuels, les transsexuels, les marginalisés…).

4.      Culturelle et Religieuse (juifs et musulmans, chrétiens catholiques, protestants, orthodoxes… musulmans sunnites, chiites, daesch… minorité musulmane rohingyas au Mynmar, bouddhidtes, athées …).

5.      Politique (Conservateurs et Progressistes, les oppositions idéologiques entre les différents partis politiques…).

6.      Littéraire (Conservateurs et Modernistes, Conformistes et Anticonformistes, Libertins…).

II.      Les enjeux de la stigmatisation

1.      La manipulation politique des stigmas.

2.      La manipulation religieuse des stigmas.

3.      Les effets sociaux de la stigmatisation.

4.      L’influence des mass-médias et des réseaux sociaux en matière de stigmatisation.

5.      La récupération littéraire de la stigmatisation.

III.    Les stratégies de la dé-stigmatisation

1.      Les politiques de tolérance et de cosmopolitisme.

2.      L’appel à la cohabitation pacifique.

3.      Le rôle des mass-médias.

4.      Le rôle de l’enseignement.

5.      La mission des penseurs, des sociologues, des anthropologues, des artistes et des hommes de lettres.

Les objectifs du Congrès

•        Insister sur la pertinence de la réflexion au sujet de la stigmatisation.

•        Insister sur la nécessité d’une étude interdisciplinaire du phénomène de la stigmatisation (psychologie, sociologie, anthropologie, littérature, histoire, didactique…).

•        Cerner l’ampleur du phénomène de la stigmatisation.

•        Evaluer l’efficience des différentes politiques et stratégies déjà mises en œuvre dans la lutte contre la stigmatisation.

•        Essayer de définir de nouvelles stratégies pour faire face aux manifestations actuelles de la stigmatisation.

 

Bibliographie

1.      Blanchot, M. Faux pas, Paris, Gallimard, 1943.

2.      Canguilhem, G. Le normal et le pathologique, Paris, P.U.F, 2005.

3.      Collectif, L'adolescence à l'épreuve de la stigmatisation- Abdessalem Yahyaoui (Direction) Paru le 19 avril 2017, Edition In Press.

4.      Collectif, Les Mots de la stigmatisation urbaine, Jean-Charles Depaule (Direction), Les mots de la ville, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Éditions UNESCO, Collection : Les mots de la ville, 2006.

5.      Croizet, J.C., Leyens, J.P., Mauvaises réputations Réalités et enjeux de la stigmatisation sociale, Paris, Armand Colin, 2003.

6.      Dagognet, F. Changement de perspective : le dedans et le dehors, Paris, La Table ronde, 2002.

7.      Elias, N. La société des individus, Paris, Pocket agora, 1998.

8.      Fanon, F. Peaux noires, masques blancs, Paris, Le Seuil, 1952.

9.      Fassin, D, Rechtman R, L’Empire du traumatisme : enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007.

10.    Foucault, M. Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

11.    Gauchet, M. La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002.

12.    Girard, R. La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.

13.    Giordana, J.Y., La stigmatisation en psychiatrie et en santé mentale, Paris, Masson, 2010.

14.    Goffman, I. Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de Minuit, 1975.

15.    Le Bihan, Y., Construction sociale et stigmatisation de la « femme noire », Imaginaires coloniaux et sélection matrimoniale, Paris, Logiques sociales, 2007.

16.    Sloterdijk, P. La domestication de l’être, Paris, Mille et une nuits, 2000.

17.    Souleze Larivière D, Eliacheff C, Le temps des victimes, Paris, Albin Michel, 2007.

 

Président et Coordinateur général du Congrès

Dr. Abdelwaheb Bacha, Directeur du Centre cognitif des Recherches et des Etudes El Madar.

Coordinateur et Responsable de publication du Congrès

Dr. Lassàad Héni.

 

Protocole de participation et de publication

-        La proposition doit toucher l’un des axes du Congrès. Elle doit être également inédite et non extraite d’un quelconque travail académique (Mémoire de Master, Thèse…). Les langues des communications sont l’arabe, le français, l’anglais, l’espagnol et le turc.

-        Les communications ne doivent pas être en-deçà des 10 pages et au-delà des 25 pages. Les notes, les références et les annexes doivent figurer en bas de page. La bibliographie doit obéir à l’ordre alphabétique et figurer à la fin de la communication.

-        La proposition doit être sous la forme d’un projet de communication.

-        Les propositions acceptées pour la participation sont soumises à l’évaluation du comité scientifique en vue de leur éventuelle publication.

-        Les propositions en français, en anglais, en espagnol et en turc sont à rédiger dans la police Times New Roman, interligne 1.5, caractère 14, bas de page, caractère 12. Les communications en arabe sont à rédiger dans la police Simplified Arabic.

-        Les propositions doivent être accompagnées d’une brève notice biographique (Nom et prénom, Grade, Institution de rattachement, numéro de téléphone, émail..).

-        Les propositions en arabe doivent être accompagnées d’un résumé en français ou en anglais avec la délimitation de 5 mots-clés.

-        Les communications en français et en anglais doivent être accompagnées d’un résumé en arabe.

-        Le comité scientifique statue sur l’acceptation des propositions et informe les auteurs de la nécessité d’envoyer le texte complet de leurs communications avant la date limite de leur réception.

-        Les communications doubles sont acceptées à condition d’être présentées par un seul conférencier.

-        Les communications des doctorants doivent être sous la forme de poster.

-        Les enseignants universitaires et les docteurs sont libres de choisir la forme de leurs communications : conférence, poster…

Dates importantes

-        Dernier délai pour l’envoi des propositions : 30 novembre 2018.

-        Notification d’acceptation : 07 décembre 2018.

-        Dernier délai pour la réception des communications : 10 janvier 2018.

-        Envoi des invitations de participation : 20 janvier 2019.

-        Annonce du programme du congrès : 25 janvier 2019.

-        Réception des participants : 7 février 2019.

-        Tenue du congrès : 8 et 9 février 2019.

Frais de participation

-        Les frais de transport sont à la charge des participants.

-        Les frais de participation des enseignants et des étudiants algériens sont 22000 dinars algériens pour les chambres doubles à payer avant le 31 décembre 2018. Après le 1 janvier 2019 les participants sont conviés à payer la somme de 25000 dinars algériens.

-        Les frais de participation des enseignants et des étudiants tunisiens sont 230 dinars tunisiens pour les chambres doubles à payer dans le lieu du congrès.

-        Les frais de participation pour les citoyens des autres pays est 200 euros ou leur équivalent en dollar à payer dans le lieu du congrès.

-        Pour les chambres individuelles, les participants sont conviés à s’acquitter de la somme de 60 dinars tunisiens à raison de 20 dinars par nuitée.

-        Les frais de participation couvrent le séjour à l’hôtel, la restauration, le cartable du congrès, une attestation de participation cosignée par le Centre El Madar et l’Université de Gabès.

-        Les frais de publication électronique ou en papier sont 20 euros à payer dans le lieu du congrès.

Email du congrès

Congres.stigmatisation2019@gmail.com

Email du Centre El Madar

rsmcenterdz@gmail.com