Colloque interuniversitaire jeunes chercheur·se·s
28 et 29 juin 2019 – Sorbonne Université / Sorbonne Nouvelle
Légitimité et illégitimité de la littérature et du théâtre :
Qui a le droit d’écrire quoi ? Qui a le droit de montrer quoi ?
« [I]l y a des limites que la littérature, même la plus légère, ne doit pas dépasser, et dont Gustave Flaubert et co-inculpés paraissent ne s'être pas suffisamment rendu compte ». Ces mots sont ceux du jugement rendu à l’issue du procès intenté à Gustave Flaubert devant le tribunal correctionnel de la Seine le 8 février 1857[1], tels qu’on les trouve rapportés par la Gazette des tribunaux. Quelques mois plus tard, le 20 août, l’avocat Ernest Pinard, qui occupait déjà la fonction de procureur général lors du procès de Madame Bovary, prononce un réquisitoire à l’encontre du Baudelaire des Fleurs du mal : « De bonne foi, croyez-vous qu’on puisse tout dire, tout peindre, tout mettre à nu […] ?[2] » Pierre Desproges se demandait si l’on pouvait « rire de tout », ce n’était en fait que le déplacement et la limitation au seul domaine de l’humour d’une question plus vaste que l’on pourrait formuler ainsi : « peut-on écrire de tout ? », ou encore « peut-on tout écrire ? » Le débat suscité récemment par la réédition des pamphlets antisémites de Céline par Gallimard montre assez que la question de ce qui a droit à l’imprimé est loin de connaître un apaisant consensus, et la polémique autour de ces textes a aussi pour intérêt de complexifier le profil et les motivations des opposant.e.s à la libre publication, puisque ce sont ici des acteur·trice·s de la société civile (la LICRA[3], le BNVCA[4]) qui ont clamé que l’on ne peut pas tout dire sous prétexte de littérature. Le débat sur la légitimité des textes littéraires, qui a scandé les grandes étapes de notre histoire littéraire, des bienséances du théâtre classique au procès Genet d’Hambourg[5], est donc encore vivace. Cet éternel débat, dont les termes changent, illustre aussi l’évolution de notre rapport à la littérature (on ne reproche pas la même chose à un.e auteur·e du XVIe siècle et à un·e écrivain·e contemporain·e) autant que des pratiques d’écriture (un·e auteur·e qui veut être publié·e est bien obligé·e de savoir, selon le mot de Cocteau, « jusqu’où il peut aller trop loin »). Les diverses polémiques cristallisent en outre les tensions politiques de la société : que penser d’auteur·e·s francophones soupçonné·e·s de plagiat, tels Yambo Ouologuem ou Sony Labou Tansi ? Que dire encore des mises en scène controversées à l’instar de Kanata créé par Robert Lepage et Ariane Mnouchkine ?
Penser la légitimité de la littérature et du théâtre permet d’interroger les instances de légitimation : en effet, qui légitime les œuvres, qui les censure et comment ces phénomènes fonctionnent-ils ? On pourra également s’intéresser aux rapports entretenus par les écrivain·e·s avec les institutions (Église, Justice, Université, etc.) et aux stratégies qui leur permettent de déjouer la censure. Du reste, la récupération des œuvres polémiques ou périphériques par les institutions (notamment les théâtres subventionnés, les programmes scolaires...) pourra être interrogée : de quelle manière la société, en faisant de l’auteur·e un·e de ses membres honoré·e et donc honorable, met-elle à mal les potentialités subversives de la littérature ?
La question de la légitimité invite en outre à penser les processus de marginalisation. En effet, l’identité de l’auteur·e semble peser sur la reconnaissance de son œuvre lorsqu’il s’agit d’une identité dite subalterne. On pourra ainsi interroger les obstacles auxquels sont confronté.e.s des auteures femmes ou des écrivain.e.s issu.e.s de l’ancien empire colonial. Comment fonctionne l’occultation de ces écrivain.e.s, à quel moment sont-ils·elles marginalisé·e·s et sous quels prétextes ?
La légitimité a également partie liée avec la réception. Il pourra être intéressant d’aborder le poids des polémiques littéraires (procès, campagne de presse…) mais aussi théâtrales (on pense notamment aux mises en scène qui ont fait scandale) qui contribuent à consacrer une œuvre ou bien à la condamner à l’oubli. En outre, le canon littéraire pose la question des genres illégitimes : que dire des littératures oubliées par les cadres d’études, qui échappent aux divisions des champs universitaires et qui risquent par là de demeurer invisibles ? Peut-on, par exemple, ouvrir les portes du canon littéraire à un·e écrivain·e pornographique ou à des auteur·e·s de genres illégitimes, tel que les romans de gare ou les contes pour enfants ?
Les propositions de communication d’une demi-page, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, doivent être envoyées à colloque.legitimite.litterature@gmail.comavant le 31 décembre 2018.
Avec le soutien des équipes de recherche : THALIM, IRET (Sorbonne Nouvelle) – CELLF, CRLC (Sorbonne Université)
Et des Écoles Doctorales : ED 120, ED 267 (Sorbonne Nouvelle) – ED 3 (Sorbonne Université)
Comité d’organisation : GRILL (Groupe de Recherche Interuniversitaire en Langue et Littérature : Jean-Christophe Corrado, Esther Demoulin, Alice Desquilbet, Marco Doudin, Agathe Giraud, Charlotte Laure, Clément Scotto di Clemente, Marie Vigy)
[1]Ce texte est reproduit dans Gustave Flaubert, Œuvres complètes, t. III, 1851-1862, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 533-535, ici p. 535.
[2]Ce texte est reproduit dans Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, t. I, p. 1206-1209, ici p. 1207. Yvan Leclerc retrace l’histoire des procès de Madame Bovary et des Fleurs du mal dansCrimes écrits. La Littérature en procès au 19e siècle, Paris, Plon, 1991.
[3]Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme.
[4]Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme.
[5]Le procès, en autorisant la publication de la traduction allemande de Notre-Dame-des-Fleurs en 1962, suscita une révision des lois sur la censure touchant les œuvres érotiques.