21-22 juin 2018, Université Paris-Diderot
Les propositions, d’une demi page, doivent être envoyées le 15 novembre 2017 au plus tard, simultanément à Guiomar Hautcoeur (Guiomar.Hautcoeur@gmail.com) et Anne Teulade (anne.teulade@univ-nantes.fr)
L’esthétique de la contingence dans les fictions de faits divers de la première modernité. La littérature, un lieu pour se réapproprier l’expérience ?
Le fait divers, que Philippe Hamon définit comme « le récit d’un événement exceptionnel, survenant de façon imprévisible dans le monde quotidien, et considéré par l’opinion comme une infraction à une norme (juridique, statistique, éthique, naturelle, logique)[1] », constitue un objet particulièrement efficace pour penser l’intervention du hasard. Nous proposons de réfléchir sur les modes de scénarisation de faits divers avérés ou prétendus tels, dans la fiction de la première modernité. Quand le théâtre ou la nouvelle prennent en charge un tel fait divers, qu’il s’agisse d’un cas juridique sortant de l’ordinaire[2], d’un événement inouï[3] ou traumatique[4], ils tentent généralement de soumettre au public une mise en ordre artistique de l’incompréhensible, de la violence et des aléas du monde – de proposer un système de causalité et de réfléchir au sens de l’advenu.
On souhaiterait examiner comment, et avec quels effets, le théâtre et le récit sont susceptibles d’intégrer l’inattendu le hasard et les irrégularités du réel dans leurs représentations. L’événement présenté comme avéré constitue en effet un lieu privilégié de l’intégration de la contingence dans la création artistique, processus qui entre d’ailleurs en tension avec l’extension du champ du vraisemblable qui se fait jour à la même époque.
On pourra s’interroger sur la part du hasard dans le système de causalité présidant aux « faits divers », sur les modes de représentation du hasard dans ces fictions factuelles et sur le type de mimesis qui en découle. La mise en scène d’événements contingents exerce-t-elle des effets sur la conception de la fabrique fabulaire ? Entraîne-t-elle un redéploiement des possibles narratifs, ou à l’inverse l’irrégularité de la contingence se voit-elle polie par la surimposition de logiques fictionnelles préexistantes ? Comment les œuvres créent-elles les conditions d’adhésion du spectateur au fait inouï ?
Par ailleurs, on questionnera les formes d’interprétation du réel que livrent les œuvres, en se demandant comment le hasard est perçu, compris ou mis en débat dans les fictions factuelles, et en étudiant comment elles permettent une réfraction des incertitudes et des doutes liés aux bouleversements de la première modernité. On se demandera quels discours ces œuvres produisent sur le déroulement et le sens de l’existence humaine, et quelle peut être leur valeur heuristique, dans une période où le rapport du sujet à l’histoire est considérablement troublé.
Le prisme des scénarisations du hasard sera une manière d’interroger les relations entre littérature et fait divers à une époque qui a jusqu’ici fait l’objet de peu d’études sur le sujet[5], alors que les travaux se développent sur la période du XIXe au XXIe siècle[6]. Or si le « fait divers » ne se constitue comme tel qu’à partir du XIXe siècle (le terme apparaît en 1838 dans la langue française, période à laquelle on instaure une « rubrique des faits divers » dans les quotidiens), la diffusion de faits divers est attestée dès le XVIe siècle. Ils concernent alors essentiellement des apparitions diaboliques, des monstres, des phénomènes célestes, des catastrophes naturelles et bien sûr des crimes, et sont d’abord transmis par des colporteurs. Dès 1634, la Gazette de Théophraste Renaudot diffuse, à côté des « Nouvelles extraordinaires », qui concernent les faits politiques et guerriers, les « Nouvelles ordinaires », qui impliquent des gens sans renommée particulière mais auxquels sont arrivés des faits exceptionnels[7]. Les œuvres littéraires portant sur des crimes récents, des apparitions diaboliques et des sorcières, des phénomènes naturels inexplicables, relayant des faits avérés, témoignent d’ailleurs de leur diffusion dans l’opinion. Il apparaît donc nécessaire de revenir sur les relations entre fait divers et littérature avant 1800, à l’aune d’un questionnement sur le hasard qui permettra de rendre saillants les problèmes posés par l’écriture de l’inouï et de l’irrégulier.
[1] Philippe Hamon, « Fait divers et littérature », Romantisme, vol. 27, numéro 97, 1997, p. 7. On notera que la définition du fait divers est instable. Il ne correspond ni à une forme ni à un contenu spécifiques. Pour une réflexion sur les modalités et les typologies du fait divers contemporain, voir Annick Dubied, Les Dits et les scènes du fait divers (Droz, 2014).
[2] La Devineresse ou les faux enchantements de Thomas Corneille/Donneau de Visée (1680), The Witch of Edmonton de Thomas Rowley, William Dekker et John Ford (1621/1658) ou à The Late Lancashire Witches de Thomas Heywood et Richard Brome (1634)
[3] La Comète de Fontenelle/Donneau de Visée (1681).
[4] Les Portugais infortunés de Nicolas Chrétien Des Croix (1608), El trato de Argel et Los baños de Argel de Cervantès, l’anonyme Famous history of life and death of captain Stukeley (1605).
[5] Si l’on excepte les faits divers catastrophiques, amplement étudiés dans le volume dirigé par Françoise Lavocat, Pestes, incendies, naufrages. Écritures du désastre au dix-septième siècle, Turnhout, Brepols, 2011.
[6] Voir en particulier le numéro de la revue Romantisme cité supra et coordonné par Philippe Hamon ; Franck Evrard, Faits divers et littérature (Nathan, 1997) ; Emmanuelle André, Martine Boyer-Weimann et Hélène Kuntz (éd.), Tout contre le réel : miroirs du fait divers (Le Manuscrit, 2008) ; Sylvie Jopeck, Le Fait divers dans la littérature (Gallimard, 2009) ; Minh Huy Tran, Les Écrivains et le fait divers : une autre histoire de la littérature (Flammarion, 2017).
[7] Voir le dossier « Faits divers », dans Gallica.
Responsable : Anne Teulade et Guiomar Hautcoeur
Source : Fabula